En ces temps de crise où le made in France est à l'honneur, la collection Eclipse nous offre le roman inédit d'un auteur français, Patrick Mc Spare, connu pour sa série Les Hauts-Conteurs, co-écrite avec Olivier Peru. Comtesse Bathory retrace une période tragique de la vie d'un personnage historique, une hongroise de haute noblesse du 17e siècle, surnommée la Comtesse sanglante.
Dans les faits, Erzsébet Báthory — orthographe à la hongroise — est accusée d'avoir torturé et tué de nombreuses jeunes femmes. En raison de sa position importante, elle ne sera pas exécutée, mais passera les trois dernières années de sa vie assignée à résidence dans une unique pièce de son château de Cachtice — situé aujourd'hui en Slovaquie — et ce, sans jamais être présentée à un juge. Quand on sait que, d'une part, les témoignages émanant de ses complices ont été recueillis sous la torture, et que, d'autre part, dans une Europe de l'Est en proie aux conflits, cette veuve, instruite, cultivée et richissime, possédait assez de pouvoir pour influer sur l'issue d'une guerre, les historiens s'accordent sur le doute raisonnable et ne tranchent pas entre la véracité des accusations portées contre elle et une machination politique orchestrée afin de réduire considérablement son influence dans la lutte contre la maison des Habsbourg régnant sur le Saint-Empire.
À l'instar de Vlad Tepes — le fameux Dracula — ou de Gilles de Rais, les rumeurs et les légendes les plus macabres se mélangent à une réalité historique qui conserve beaucoup de zones d'ombres. Du sang et des pratiques barbares : il n'en faut pas plus pour débrider l'imagination collective — aidée par nos amis écrivains et cinéastes — et faire d'Erzsébet Báthory, un personnage récurrent du folklore vampirique.
Partant du principe qu'Erzébeth — orthographe utilisé dans le présent roman — est coupable des crimes dont on l'accuse, Patrick Mc Spare nous ramène au début des années 1600 et déroule son scénario en nous proposant une version des faits pimentée d'une dose de fantastique, oscillant entre explications rationnelles et surnaturelles. Le lecteur suit ainsi l'escalade sanglante d'une femme, obnubilée par l'immortalité et la peur de vieillir, en partageant les moments clés qui ont aggravé ses macabres penchants. Initiée par son entourage à divers rituels impliquant la torture puis la mort et qui provoquent chez elle une dévorante addiction, Erzébeth conserve tout de même une conscience qui se réveille ponctuellement et déclenche d'intenses périodes d'introspection. Même la crainte du châtiment divin ne semble pas pouvoir empêcher la Comtesse d'aller au bout de ses envies, d'autant qu'elle a enfin trouvé l'amour en la personne d'Anna, une adepte de la magie noire à la sensualité vénéneuse. Patrick Mc Spare réussit à créer un personnage complexe, une noble dure et impitoyable — très au fait de son importance — , mais aussi une femme fragile ayant dû composer avec sa position et son devoir, avide d'affection : voici un terreau parfait pour les vilaines manigances de ses charmants amis !
Construit comme un roman d'aventures, le récit se partage entre plusieurs groupes œuvrant dans des camps opposés : d'une part Erzébeth et ses alliés — sorcière, nécromancienne et alchimiste — amassant toujours plus de victimes au fil des ans, d'autre part, cinq mercenaires — homme d'église, exorciste, briseur d'envoûtements et chasseurs de vampires — engagés pour retrouver une jeune fille et des preuves de l'implication de la Comtesse dans la disparition.
Ces spécialistes aux méthodes très différentes s'unissent — et s'affrontent aussi parfois — pour traquer et déjouer les plans de la Comtesse et de ses acolytes. Le travail ne s'avère pas de tout repos d'autant que Patrick Mc Spare se révèle un créateur sans scrupule. Il malmène ses personnages, faisant preuve d'un sadisme en accord avec la thématique de son scénario. Les éternels optimistes en seront pour leurs frais !
Très riche en informations historiques sur les conflits secouant le royaume de Hongrie et ses pays frontaliers en ce début de 17e siècle, les lecteurs profitent d'un univers bien documenté et passionnant qui participe grandement à l'intérêt du récit. Celui-ci possède une intrigue à tiroirs qui exploite à la fois le chemin sanglant choisi par Erzébeth, mais aussi les objectifs troubles de son compagnon et initiateur, le bien nommé Cadevrius Lecorpus. Gare au lecteur qui sauterait quelques paragraphes ! Il passerait à côté des subtilités qui trouvent leur place dans une scène finale digne d'un policier d'Agatha Christie où l'auteur lève le voile sur les machinations des uns et des autres.
Abordant le thème du vampirisme à travers le destin tragique de la Comtesse Bathory, ce roman propose un bon scénario mêlant aventures et complots sur fond de réalité historique.
Nathalie TELL
Première parution : 7/2/2014 nooSFere