Si vous comparez l'œuvre d'Ursula K. Le Guin à une montagne, accueillante, dont les sommets sont ses romans, découvrir un recueil de nouvelles, inédites en français, c'est comme si un vagabond vous confiait un soir au coin du feu : « J'ai trouvé un col qui ouvre un nouveau passage ». Dès lors, l'apprenti alpiniste n'a plus qu'à monter une équipe prête à se lancer à l'assaut de cette nouveauté.
Voici dix-huit nouvelles à gravir : le chemin est balisé, avec de la science-fiction, de l'imaginaire, des fictions spéculatives, de la fantasy, la palette imaginative qu'Ursula K. Le Guin a développée au long de sa vie et de son œuvre.
« Je n’étais encore qu’un enfant la première fois que je suis allé à la grande haie. Je chassais les champignons... Chasser sans nécessité est le privilège, dit-on, des personnes de haut rang. J’oserais, moi, dire que c’est l’un des actes qui établit un noble, qui constitue le privilège en lui-même. Chasser pour la faim est le lot du roturier. Mais tout cela ne fait que réduire ce dernier à l’état de braconnier. Alors, je braconnais les champignons, dans la forêt du roi. » Ursula K. LE GUIN
Si vous pensiez Ursula K. Le Guin une autrice avant tout de fantasy (« Terremer ») ou de science-fiction (le cycle de « l’Ekumen »), gageons que ce recueil pourrait vous faire changer d’idée. Inédites en France, les dix-huit nouvelles qui composent l’ouvrage ont à l’origine été écrites entre 1982 et 1995. Et elles n’appartiennent pas, pour une bonne moitié, à nos registres habituels, mais sont bien ancrées dans la réalité. À l’exception de la nouvelle quasi-titre (« La Clef des airs ») faisant suite à des écrits antérieurs, et qui, de fait, peut perdre le lecteur n’ayant pas les références, toutes sont indépendantes de ses autres œuvres. Et toutes sont ancrées sur cette bonne vieille Terre : vous n’y voyagerez pas dans l’espace ou sur des planètes étranges. Même quand elle fait appel aux mythes (« Une épouse enfant ») ou aux contes de fées ( « Le Braconnier »), Le Guin reste centrée sur son sujet : l’humain et les relations qu’elles et ils tissent avec les autres au fil de leur vie. Que ce soit en faisant appel à la science-fiction ( « Quatre heures et demie », qui imagine les mêmes personnages à la même heure dans huit univers différents), à la fantasy (« Anciens ») ou au fantastique ( « Les Cuillères de la cave » ou « Ether, ou », avec sa petite ville typique du Midwest mais itinérante), l’autrice plonge son lecteur, l’espace de quelques pages, dans la vie de ses personnages, que ceux-ci ne partagent qu’un moment fugace ou, au contraire, qu’ils déroulent leur vie entière.
Surprenantes de brièvetés (certaines font moins de cinq pages), ces nouvelles étonnent également par leur variété de ton. Ainsi « Ruby sur la 67 » commence de façon très prosaïque avant de s’évader vers la nostalgie. « La Femme sage » relève presque du poème en prose, tandis que « Limberlost » renvoie au journal intime proche de la beat generation. Mais c’est « Tenir ses positions », avec son récit choral d’une scène toute simple, qui remporte la palme du récit à la fois le plus factuel et le plus fort de l’ensemble. Même si, pour le coup, ce dernier se situe totalement hors champ de l’Imaginaire.
À picorer ou à lire d’une traite, Unlocking the Air est en tout cas un très bel ouvrage et une introduction intéressante à l’œuvre d’Ursula K. Le Guin.