Jacques Chambon a brillamment succédé à Elisabeth Gille, à la tête de Présence du Futur, accueillant des amateurs nouveaux (Garry Kilworth, lain Banks, James Morrow), d'autres habituellement publiés ailleurs (Frederik Pohl, Robert Sheckley, Robert Silverberg), faisant revenir certains ayant déserté la collection (Jacques Sternberg, Serge Brussolo, et on nous annonce que d'autres seraient eux aussi sur le point de faire leur retour), donnant à Limite la possibilité de voir le jour. Et dans sa volonté d'ouverture, il décidait lors de son arrivée de faire un maximum pour les francophones, et affirmait à qui voulait bien l'entendre qu'il ferait son possible pour leur accorder autant de place qu'aux anglo-saxons. Un temps de mise en route, et voilà : en 1989, la moitié des auteurs seront de langue française ! Et en plus de Philippe Curval, Joël Houssin, Emmanuel Jouanne, Philippe Cousin, Jean-Pierre Vernay, Jacques Barbéri, Serge Brussolo et Jean-Pierre Andrevon, connus depuis longtemps, il s'engage dans la publication de deux nouveaux venus, révélés par quelques textes sortis ici et là ; Colette Fayard, avec un recueil intitulé Les Chasseurs au Bord de la Nuit, et Alain Dartevelle avec Script, un second roman, inaugurant le nouveau look de la collection.
Après Borg ou l'Agonie d'un Monstre (éd. Solidaritude), devenu difficile sinon impossible à trouver, Dartevelle revient au roman par le biais de la polyphonie, de l'écriture à plusieurs voix. Car, voyez-vous, le héros de ce livre n'est ni un homme, ni une femme, ni un extraterrestre, non plus qu'un androïde ( !), mais une ville, Newgorod, sur une Terre dévastée. Une ville ayant le privilège d'être la dernière debout, sous sa bulle protectrice, après un cataclysme dont nous ignorons tout. Plutôt que de s'attacher à suivre un ou deux personnages de bout en bout, il décide tout au contraire de décrire la trajectoire d'une multitude de personnages et de raconter des histoires dans l'histoire, des histoires parallèles. Il est vrai qu'une telle technique se prête particulièrement bien à son projet, son propos d'ensemble : rendre compte de l'ampleur et de la richesse d'un micro-univers, d'un microcosme par le fractionnement, je n'irai pas jusqu'à dire l'éclatement, du récit. Nous faisons donc la connaissance de toute une palette d'acteurs : Bert Vorochil, le maître de la ville, Oskar Rheinholdt, son président, Gaspar Ophüls, le premier intervenant, que l'on prend tout d'abord pour la héros, Iago Brückner, l'acteur déchu retombé dans l'anonymat (pour ne pas dire dans la misère), Luigi Fus, son fourgue, et quelques autres parmi lesquels il conviendrait de ne pas oublier Sykes et Eva, le seul personnage féminin, qui n'a pas le beau rôle !
Résumer un tel livre se révèle non seulement difficile, mais aussi et surtout réducteur. Je me bornerai à dire qu'il s'agit pour l'auteur, comme dit plus haut, d'évoquer un monde indépendant, fonctionnant selon ses propres règles, sa logique interne. Sa caractéristique essentielle étant que, comme dans beaucoup de classiques de la SF, la forme écrite y est interdite, le livre rare. De plus, la réalité ne pourrait être qu'un simple scénario. Oui, mais dans ce cas, qui en serait l'auteur ?
Vous le comprenez, nous tenons là un roman ambitieux. Trop peut-être. Car, finalement, la multiplicité des intrigues et des personnages finit par rendre la lecture difficile. Et je dois avouer ne pas être parvenu à entrer dans ce livre, même si je lui reconnais plusieurs qualités, concernant notamment le style, sobre mais tout de même un peu froid (peut-être cela tenait-il au thème de l'ouvrage ?)...
Script qui, rappelons-le, n'est que le second ouvrage de son auteur, est à prendre, je crois, comme un roman intermédiaire, concluant et couronnant la période des débuts, laissant présager un avenir ponctué de textes mûrs. Une étape, en somme, nécessaire à son évolution.
Lisez-le ; vous auriez tort de vous priver de ce plaisir trop rare qu'est la découverte...