Sous ce titre sont rassemblés treize essais, écrits pour la plupart de 1948 à 1959. Trois d'entre eux seulement (Le point suprême et l'âge d'or à travers quelques œuvres de Jules Verne, Sur les procédés de Raymond Roussel, La crise de croissance de la science-fiction) se rattachent à la littérature fantastique ou à la science-fiction, mais tous sont Intéressants à lire, parfois même captivants. Michel Butor a des connaissances et de l'originalité, et il possède également un sens poussé de la synthèse ; celui-ci lui permet de faire des rapprochements et des comparaisons qui piquent la curiosité de son lecteur et lui suggèrent des réflexions personnelles. L'information de Michel Butor est vaste et précise. Il n'y a guère que l'insuffisance de ses connaissances scientifiques que l'on puisse parfois lui reprocher (Il écrit que « la pesanteur est plus forte sur Vénus »), laquelle ne nuit guère à la pertinence de ses développements, et une confusion plus regrettable à propos de l'œuvre de Proust. Marcel Butor affirme en effet que Gilberte Swann devient un jour duchesse de Guermantes, alors qu'il ne se passe rien de tel dans la Recherche ; il s'agit probablement d'une confusion née de ce que Mme Verdurin épouse, quant à elle, le prince de Guermantes. Mais Michel Butor en tire un argument supplémentaire pour l'interprétation cyclique de la Recherche. Il serait cependant absurde de s'exagérer cette faiblesse, qui n'enlève rien à l'intérêt de ces essais. Butor parle de Proust, et aussi de Joyce, avec une intelligence pénétrante, éclairant et complétant, quand il y a lieu, ce qu'ont écrit les auteurs, il est assez piquant, en outre, de constater que son admiration pour Proust et pour Mallarmé l'amène à s'inspirer de leurs styles lorsqu'il en parle. Ces pastiches d'admirateur ne sont pas sans élégance, qu'ils aient été voulus ou non.
L'essai sur Jules Vernes date de 1949. Il précéda donc la publication des travaux de Marcel Moré, et il est d'autant plus intéressant de trouver Michel Butor en accord avec l'auteur du Très curieux Jules Verne, lorsqu'il lui arrive de croiser la route. Sans s'occuper de la biographie de Verne, laquelle éclaire le scepticisme tardif de son œuvre, Michel Butor retrace la recherche sous-jacente, qui est comme la motivation des Voyages extraordinaires (il puise principalement ces arguments dans Les aventures du Capitaine Hatteras, Vingt mille lieues sous les mers, Voyage au centre de la terre et L'île mystérieuse). Les thèmes du message chiffré, de l'épreuve purificatrice, de la conquête de ce lieu privilégié qu'est le « point suprême », pôle ou centre, et de la révélation qui accompagne cette conquête, sont dégagés par l'auteur, qui leur oppose la chute pessimiste ultérieure. Il illustre cette chute par L'éternel Adam, le plus sombre sans doute des romans de Verne, avec son thème du perpétuel et inutile recommencement.
L'examen de quelques procédés de Raymond Roussel se fonde principalement sur les Impressions d'Afrique et sur Locus Solus. Michel Butor sépare les parties du mécanisme pour mieux en montrer le fonctionnement, et démontre que l'œuvre de Roussel, comme celle de Proust, est une recherche du temps perdu, mais sous la forme d'un retour « en avant », et non en arrière : « l'événement retrouvé change de niveau et de sens », au lieu d'être une re-création subjective.
Quant à l'essai sur la science-fiction, il paraît avoir été écrit d'après les seuls romans disponibles en traduction française en 1953. Cela expliquerait d'ailleurs que Michel Butor y parle d'une « crise de croissance » : telle crise, dans le domaine anglo-saxon, était depuis longtemps surmontée à l'époque. Les vues de Michel Butor ne manquent pas d'intérêt, mais elles sont contestables parce qu'insuffisamment fondées. C'est ce qui pousse l'auteur à proposer, pour surmonter cette « crise de croissance », une solution irréalisable, et de toute façon beaucoup moins efficace que Michel Butor ne le pense. Il eût voulu en effet que les auteurs s'entendissent pour utiliser un même décor pour l'ensemble de leur production. Sans doute celle-ci y gagnerait-elle, la répétition aidant, un relief et une familiarité appréciables pour le lecteur. Mais une telle coordination des efforts n'aurait aucun sens pour les écrivains : pourquoi ceux-ci s'astreindraient-ils à préparer minutieusement les règles d'un jeu, alors qu'un des attraits de la science-fiction consiste précisément à pouvoir changer ces règles pour chaque partie – c'est-à-dire pour chaque récit ? Michel Butor semble Ignorer, d'autre part, que plusieurs auteurs ont bel et bien dessiné un tel fond pour un groupe de leurs récits : Robert Heinlein, Isaac Asimov, Poul Anderson et James Blish (Michel Butor était parfaitement excusable de ne pas connaître ce dernier, qui n'avait pas encore ordonné son édifice lorsque l'essai fut écrit, mais son ignorance de l'histoire future de Heinlein est difficilement pardonnable chez quelqu'un qui propose un diagnostic de la science-fiction).
Mais ce n'est pas pour ce diagnostic que le livre mérite d'être lu avec attention. C'est parce qu'il porte la marque d'une intelligence pénétrante – d'un lecteur qui a réfléchi sur les œuvres de Verne, Proust, Joyce et Roussel, et qui fait profiter autrui de ses expériences et du fruit de ses réflexions.