SIXAINE (éditions de la)
(Nivelles, Belgique), coll. Le Roman Noir Date de parution : 1947 Dépôt légal : 1947, Achevé d'imprimer : juillet 1947 Première édition Anthologie, 232 pages, catégorie / prix : nd ISBN : néant Format : 12,5 x 18,5 cm❌ Genre : Fantastique
Contient un errata pour la page 178 (4 erreurs) sur une feuille volante. La Sixaine a tiré de cet ouvrage 32 exemplaires sur papier velin supérieur dont 3 nominatifs marqués de A à C, 24 exemplaires nominatifs numérotés de I à XXIV destinés aux collaborateurs et amis de l'éditeur et 5 exemplaires nominatifs numérotés de 1 à 5 réservés à la S.A. Finedit.
1 - Jean RAY, Avant-propos, préface 2 - Ambrose BIERCE, Le Veilleur de la mort (A Watcher by the Dead, 1889), nouvelle 3 - Heinrich HEINE, Le Docteur Saul Ascher (Dr. Ascher und die Vernunft (extrait de Die Hartzreise), 1826), nouvelle 4 - ERCKMANN-CHATRIAN, Le Blanc et le noir, nouvelle 5 - Maurice RENARD, Le Rail sanglant, nouvelle 6 - Francisque PARN, Le Chat rouge, nouvelle 7 - Johan-Auguste APEL & Friedrich LAUN, La Chambre noire (Die schwarze Kammer: Anekdote, 1811), nouvelle 8 - Thomas INGOLDSBY, Sur la lande de Tappington (The Spectre of Tappington, 1837), nouvelle 9 - Catherine CROWE, Documents d'épouvante, nouvelle 10 - Jean RAY, La Ruelle ténébreuse, nouvelle 11 - Thomas OWEN, 15.12.38., nouvelle 12 - Alice SAUTON, Iblis ou la rencontre avec le mauvais ange, nouvelle 13 - Gustave VIGOUREUX, La Vieille au fichu vert, nouvelle 14 - Alphonse DENOUWE, Trois... pour faire un choix, nouvelle
« De tous temps, les hommes furent fascinés par (la peur). Et l'on a pu déceler dans cet attrait un instinct profond : celui de la défense. Pour conjurer le mal et la terreur, l'homme s'y engage, de crainte de les subir malgré lui... Ajoutons à cela le sens d'un monde perdu, d'un monde dont les manifestations mystérieuses trahissent parfois confusément l'action de puissances sur lesquelles la raison n'a point de prise, mais qui troublent profondément nos sens et notre cœur. »
Ces lignes figuraient au dos d'une anthologie de contes fantastiques publiée en 1947 en Belgique : La gerbe noire. Elles pourraient aussi figurer au fronton de toutes les salles de cinéma projetant un thriller, un film d'horreur ou un film fantastique : se faire peur pour rire de sa peur, et donc s'en défendre, voilà un constat qui n'est pas neuf... Et il est d'autant plus intéressant à rappeler que ce texte est dû à un grand maître du fantastique et de la peur, Jean Ray lui-même, qui réunissait voilà déjà trente-six ans ses nouvelles favorites... L'anthologie est désormais rééditée (en fac-similé — ou en « reprint », comme on dit en franglais) par les éditions NéO, ce qui nous vaut au moins trois bonnes surprises : d'abord savoir qui le grand Jean Ray aimait particulièrement parmi ses confrères, ensuite pouvoir apprécier ses facéties dans la présentation des textes, enfin et surtout pouvoir lire (ou relire) une belle brochette de superbes nouvelles — ce qui est bien l'essentiel !
Comme tout auteur bien ancré dans un univers qu'il a façonné avec persévérance, amour... et technique, Jean Ray aime les textes (et les écrivains) qui lui ressemblent : dans son choix, on reconnaît des thèmes, des ambiances, presque la patte du maître : la malédiction, la vengeance, les histoires nocturnes abondent dans La gerbe noire — qui pourrait presque être de la main du seul anthologiste. D'ailleurs, comme le fait remarquer avec humour François Truchaud dans sa préface, ce vieux roublard de gantois a introduit, sous pseudonyme, trois textes de lui outre celui qu'il signe de son nom de plume le plus connu (Alice Sauton — ou « sautons Alice ? ? », Gustave Vigoureux — ou « vigoureux » comme Ray lui-même ? Alphonse Denouwe enfin, « tué dans une rixe de cabaret »). Démultiplication, pas vraiment diabolique cette fois, malice visant à étoffer un peu ses droits d'auteur ? En tout cas, et mis à part son ami de toujours Thomas Owen, Ray, dans cette anthologie, confisque à lui tout seul le fantastique belge. Et que dit-il de lui-même en présentant son texte — qui reste un des plus fameux de sa production — « La ruelle ténébreuse » ? Ceci : « ... une réputation littéraire qui ne fera que s'amplifier au fil des années », et : « Rosny Aîné et André de -Lorde le rangèrent parmi les »écrivains maudits« les plus riches en gloire » ! Modestie, quand tu nous tiens...
N'empêche : La ruelle ténébreuse, cette sombre histoire d'univers parallèle, de créatures sanguinaires et invisibles, avec ce touchant monstre blessé qui lappe du lait bans un bol. est bien un texte remarquable, digne de Malpertuis. Quant aux autres auteurs présents, ne signalons qu'Ambrose Bierce (avec Le veilleur de la mort, un conte macabre du plus bel humour noir qui soit). Maurice Renard avec Le rail sanglant, un atroce crime ferroviaire, et Apfel et Laum (des auteurs allemands qui ont sombré dans l'oubli), dont La chambre noire est un bel et bref exemple d'histoire de fantôme en lieu clos. Au total, donc, un ensemble marquant, que l'âge n'a pas entamé, et qui se double d'un second degré bien plaisant. Que demander de mieux ?
On connaît Jean Ray. on connaît infiniment moins John Flanders... Il s'agit pourtant de la seule et même plume, les œuvres signées Flanders ayant été en général écrites en flamand et (mais ce n'est pas toujours vrai) pour un public plus jeune, et éparpillées dans ('innombrables fascicules. Il semble bien que. lassé de voir la reconnaissance de ses pairs se faire attendre (en somme, l'amplification de sa réputation littéraire tardait). Jean Ray. pendant les années 50 surtout, pondit à la pelle des contes courts signés Flanders. qui reproduisaient plus ou moins automatiquement, et de manière peu ou prou expurgée, les grands thèmes exploités par exemple dans Les contes du whisky. Car, malgré tout ce que peuvent dire ses thuriféraires (au nombre desquels Albert Van Haageland. qui préface le recueil dont il est question ici : Visions nocturnes), rares sont les contes signés Flanders qui valent véritablement les grandes œuvres signées Ray...
Il semble bien que Ray ait construit toute son œuvre majeure, tout son univers, avant la fin des années 40 : Flanders a pris la suite, mélangeant indéfiniment les mêmes briques pour construire des maisons à la fois toutes semblables et toutes différentes : la technique fonctionnait à merveille, le cœur (ou l'inspiration, comme on voudra) n'y était plus tout à fait. Il y a pourtant de bien agréables pièces dans ce recueil (un autre va suivre : Visions infernales, reprenant d'autres contes de fabrication Flanders. inédits en France ou indisponibles depuis longtemps), au nombre desquelles on peut citer Cochrane et Jones, un étrange cas de dédoublement de la personnalité, et Le voleur, une pièce rare, puisqu'elle est considérée comme le premier texte de prose écrit par Jean Ray, en 1911. Au total, une quinzaine de nouvelles « ténébreuses » très visuelles de facture, et sur lesquelles on peut mettre en scène autant de courts-métrages personnels...