Brian CATLING Titre original : The Vorrh, 2012 Première parution : Londres, Royaume-Uni : Honest publishing, 12 septembre 2012ISFDB Cycle : Vorrh vol. 1
La Vorrh est une forêt merveilleuse et effrayante. Tous ceux qui y pénètrent y trouvent soit la mort, soit l'oubli. Néanmoins, elle exerce une fascination quasi magnétique et un attrait irrésistible. On dit que le jardin d'Éden est dissimulé en son cœur. Personne ne l'a jamais explorée en entier, elle serait sans fin.
Pourtant, un homme a entrepris le périple. Un ancien soldat qui a tout abandonné pour suivre sa bien-aimée, Este. À sa mort, il a, suivant d'antiques rituels, emprisonné son esprit dans un arc et, écoutant ses murmures, s'est lancé sur la route...
Brian Catling est un écrivain anglais, également sculpteur et cinéaste.
« Un roman visionnaire. » Michael Moorcock
« Son écriture est si extraordinaire ! » Terry Gilliam
« L'œuvre d'un génie. » lain Sinclair
Critiques
Un photographe célèbre dont un modèle, une femme internée dans un asile, est originaire de la Vorrh. Un cyclope élevé par des créatures mécaniques, qui une fois libéré par sa maîtresse, est attirée par la Vorrh. Un Vrai Humain, venu de la Vorrh, qui a rejoint les troupes coloniales avant d’en repartir effrayé par ce qu’il découvre à Londres. Un ancien militaire colonial, devenu l’Archer, créature quasi-mythique de la Vorrh. Un écrivain français parti chercher l’inspiration dans la Vorrh… Tous ces personnages ont un rapport avec cette forêt mystérieuse, située sur le continent africain, dont les visiteurs ne sortent pas indemnes.
Une préface d’Alan Moore (qui ne dévoile pas le roman et est donc lisible avant), des remerciements à Iain Sinclair, des éloges de Michael Moorcock et de Terry Gilliam, voilà qui pose singulièrement un premier roman d’un auteur inconnu dans nos parages. Pour autant Brian Catling n’est pas un jeune auteur : The Vorrh a paru en 2012 alors qu’il avait soixante-quatre ans. Les deux autres tomes de cette trilogie (rassurez-vous, ce premier tome peut se lire sans attendre la suite) ont paru depuis en 2017 et 2018.
Si l’on parle de fantasy à propos de Vorrh, il faut l’entendre dans le sens anglais du terme, qui englobe aussi bien la fantasy moderne que le fantastique classique. Car Vorrh, plutôt que de déployer la grosse cavalerie, utilise un mélange de conte mythologique (un peu comme la Forêt des mythimages de Robert Holdstock) et de monde inventé à la frontière de la réalité (à la Gormenghast de Mervyn Peake). Réutilisant des personnages réels (Raymond Roussel, Eadward Muybridge, William Gull), Catling mène de front plusieurs récits sans lien autre que la forêt. Cette narration multiple, qui ne rend pas aisé le début du roman (il faut une centaine de pages pour cerner clairement les récits), devient ensuite la véritable richesse de ce récit foisonnant. Cette forêt mystérieuse sera vue de différentes manières selon les trames, tour à tour guérisseuse, meurtrière, esclavagiste…
Vorrh est un livre dense, riche, multiple, qui se lit lentement, avec une respiration entre chaque chapitre. La forêt garde ses mystères et on en ressort avec plus d’interrogations que quand on y est entré, mais avec le plaisir d’avoir découvert un nouvel univers, rare et unique. On ne peut qu’espérer que les tomes suivants soient du même niveau et on aura une œuvre marquant durablement la fantasy.
Loué par Alan Moore dans une préface où l’auteur de Northampton évoque à son propos Ghormenghast de Mervyn Peake et Gloriana de Michael Moorcock, Vorrh paraît dans nos contrées auréolé d’une réputation élogieuse, pour ne pas dire tapageuse. De quoi nourrir quelques craintes, tant cet assaut de dithyrambes peut paraître forcé. Fort heureusement, il ne faut pas long-temps pour constater que cela n’est en rien usurpé, et que l’on se trouve bien face à une fresque foisonnante dont la complexité et la densité font échouer toute tentative d’en rendre compte de peur d’en affaiblir l’effet. Reste qu’il nous faut néanmoins nous y essayer, avec nos faibles moyens.
Oubliez tout ce que vous savez sur la fantasy et ses archétypes devenus stéréotypes à force d’être usés jusqu’à la trame. Le roman de Brian Catling enracine son propos dans le terreau fertile de la Vorrh, une selva mystérieuse dont les arpenteurs échouent à fixer les limites, et que les mots peinent à décrire. Sous ses frondaisons errent des explorateurs déboussolés, ne comprenant pas que la carte n’est définitivement pas le territoire. Des hordes de bûcherons, réduits à des pantins à force de fréquenter ses parages, abattent ses arbres pour en tirer les grumes qui font la fortune des commerçants d’Essenwald, la vaste cité coloniale greffée à sa lisière comme un chancre, où prospèrent aussi des individus aux intentions inquiétantes. Mais les luxuriances de la forêt échappent à l’entendement, cachant bien des secrets et nourrissant la foi des mystiques. D’aucuns y auraient aperçu des créatures contrefaites dont le visage semble incrusté dans le torse, monstres anthropophages dénués de moralité et d’humanité. D’autres sont persuadés que ses profondeurs sylvestres abritent le Jardin d’Éden, Adam et légions d’anges ou démons y compris. Bien peu peuvent cependant prouver leurs dires car ne dit-on pas que la Vorrh absorbe la mémoire des hommes, leur faisant perdre la raison et oublier jusqu’à leur identité ?
Omniprésente et pourtant toujours lointaine, la Vorrh reste donc un creuset propice aux spéculations les plus oiseuses, une forêt de symboles où se matérialisent tous les possibles et tous les fantasmes de l’inconscient collectif. Elle est pourtant aussi une réalité prégnante dont les manifestations influencent la vie des uns et des autres, forgeant les destins. Avec une imagination créatrice intarissable, Brian Catling opte pour une approche rappelant celle du réalisme magique. Les éléments irrationnels se mélangent à un contexte se voulant réaliste, subvertissant les conventions de la fantasy et empruntant également sa matière à l’Histoire ou à la vie de personnages historiques, tels le photographe Eadweard Muybridge, l’inventeur du zoopraxiscope, ou l’écrivain Raymond Roussel. On croise ainsi un mystérieux archer doté d’une arme consciente, un enfant cyclope, des créatures en bakélite vivant aux tréfonds d’une bâtisse vénérable, le dernier survivant de la tribu des « Vrais Humains », des shamanes en pagaille, des entités surnaturelles issues d’un passé antédiluvien, des hommes transformés en zombies, sans volonté mais pas sans âme, et bien d’autres personnages fantasmagoriques. Brian Catling multiplie les fils narratifs dans un apparent désordre qui finit par faire sens, façonnant une œuvre mutante où l’ancien est appelé à se fondre, sous le pouvoir transformateur des mots, en un récit débarrassé des pesanteurs de la tradition. Attendons maintenant de voir où l’auteur nous mène en découvrant The Erstwhile et The Cloven, deuxième et troisième tomes d’une trilogie dont le premier opus fascine et n’a pas fini d’ensemencer l’imaginaire par ses nouvelles expériences.