À Cleveland en 1980, la crise économique touche de plein fouet l’usine métallurgique et ses ouvriers subissent les vagues de licenciements, impuissants malgré les grèves. C’est dans cet environnement délétère que cinq adolescentes voient leur corps se transformer, le métal et le verre remplaçant leurs organes. Phoebe, amie de ces adolescentes, est la seule à rester à leurs cotés, les parents s’étant détournées de ces filles, voire les rendant responsables de la fermeture de l’usine.
Double métaphore du passage à l’âge adulte et des méfaits du capitalisme, Filles de Rouille est un récit d’horreur éminemment politique. Ces jeunes filles, alors qu’elles sortent de l’adolescence, voient leur avenir détruit par la crise. Entourées par le chômage et la pauvreté, leur seul futur promis (devenir la femme d’un ouvrier de l’usine) s’envole et leur solution inconsciente est la fusion avec les matériaux de l’usine métallurgique. Ces filles, en plus de subir la pauvreté et cet avenir bouché, souffrent aussi de la pression patriarcale : des pères violents, des petits copains qui fuient leurs responsabilités, des adultes qui les considèrent coupables plutôt que victimes de la situation. Seule Phoebe, la fille rebelle qui choisit la fuite, évite ce destin funeste.
L’Amérique décrite par Gwendolyn Kiste n’est pas celle des self-made-men où tout est possible, mais celle du prolétariat sur qui s'abat la récession sans échappatoire. Utilisant un Body Horror léger, évitant tout voyeurisme, l’autrice, par le biais de sa narratrice Phoebe, reste au plus près de ces jeunes filles pour nous décrire la fin de cette classe ouvrière qui ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Filles de rouille est un roman sans joie et sans espoir, mais avec une grande compassion pour ses personnages, une empathie pour cette génération qui a vu son pays tomber dans la crise.
Gwendolyn Kiste est sans aucun doute l’une des autrices les plus intéressantes de la nouvelle vague du récit d’horreur. Elle a depuis écrit deux autres romans : Reluctant immortal, où Lucy Westenra, la victime de Dracula, et Bertha Mason, la première épouse folle de Rochester dans Jane Eyre, échappent à leurs bourreaux dans l’Amérique des années 70, et The Haunting of Velkwood, une autre histoire brillante mélangeant passage à l’age adulte, relation familiale et maison hantée. Espérons qu’ils soient traduits !