La sonnette retentit dans l’appartement d’une femme vivant seule avec un enfant. Ignorant qui se trouve derrière la porte, la femme, méfiante, décide de cacher son enfant dans la salle de bains avant d’aller ouvrir. Sur le perron se trouvent deux agents du gouvernement qui l’informent de leur mission :
la mise en application de la directive n° 359/13 exigeant l’installation de la peur dans chaque foyer. Faisant irruption violemment dans le salon, les deux visiteurs se lancent dans une inquiétante performance : tour à tour, ils haranguent la pauvre femme, dressant un tableau horrifique des maux de notre temps. Dans leur discours halluciné, tout y passe : crise, épidémies, catastrophes naturelles, misère sociale, guerre et torture, terrorisme... Ils agrémentent leur diatribe d’histoires effrayantes jouant sur les peurs primales de l’homme (peur de l’autre, de la maladie, de la folie...), qu’ils mettent en scène pour un effet d’épouvante maximum. Petit à petit, ils installent ainsi une violence sourde dans la pièce, entraînant la femme – et le lecteur – dans leur délire paranoïaque. Mission accomplie? Pas sûr. La peur a une vie propre, et ses ravages peuvent parfois se montrer inattendus...
Critiques
Portugal, dans un futur proche, à peine dix minutes. On sonne à la porte d’une jeune femme, qui n’a que le temps de cacher son fils dans la salle de bains avant d’ouvrir aux fonctionnaires agréés, installateurs de la peur. Une mesure nationale, conforme à la Directive no 359/13, le progrès n’attend pas. Bien sûr, impossible de refuser l’intervention, d’autant que c’est pour le bien collectif. Mieux, on attend des citoyens qu’ils participent, collaborent à leur propre montée d’angoisse. Tout cela, et bien d’autres choses, est détaillé par l’élégant Carlos, beau parleur, et son subordonné Sousa, technicien aux allures de brute. Au fil de l’installation, par tableaux comme on le dirait d’un chemin de croix, la jeune mère endure l’épreuve tout en ne pensant qu’à son fils. Reste qu’à la moindre anicroche, la donne peut complètement changer…
Ce roman, à la fois étrange et inquiétant, à la forme quasi théâtrale, tient autant de la farce grotesque que du récit d’anticipation. Les duettistes, que Rui Zink compare à nombre de célèbres acolytes accouplés, (Laurel et Hardy ; Dupond et Dupont ; Napoléon Solo et Illya Kuriakine, et bien sûr les Vladimir et Estragon échappés de Beckett), détaillent leur catalogue de toutes les peurs possibles, ancestrales et enfantines, mais aussi viol et virus, ainsi que quantité d’autres, sans oublier évidemment le terrorisme « fait maison », « c’est ce qui marche en ce moment » (le roman est paru initialement en 2012). L’angoisse, mère de toutes les peurs, se décline à l’infini, vise à l’exhaustivité jusqu’à y inclure Cthulhu. Le récit s’achève sur un coup de théâtre, conforme à la dimension scénique du texte, et nous laisse pantelant. Il ne reste plus qu’à ranger tout le bazar, bien que les peurs ne fassent pas désordre. Au contraire, de l’ordre, elles sont le garant.
Il serait dommage que l’amateur d’Imaginaire passe à côté de ce roman. En quelques pages incisives et mordantes, Rui Zink éveille le pétochard qui sommeille en chaque lecteur. Un récit qui rappelle l’excellent « Mr Clubb et Mr Cuff », novella de Peter Straub, assurément l’un de ses meilleurs textes.