ALBIN MICHEL
(Paris, France), coll. Albin Michel Imaginaire Date de parution : 27 mars 2019 Dépôt légal : avril 2019, Achevé d'imprimer : mars 2019 Première édition Roman, 384 pages, catégorie / prix : 21,90 € ISBN : 978-2-226-44079-2 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Fantasy
Il s’appelle Araatan, il est le Grand Qsar. On le surnomme la Montagne car il est haut comme deux hommes, large comme un auroch. Le destin de ce géant est d’achever l’extermination totale des dieux. Une seule divinité a survécu : celle de la cité d’Ishroun. Pour abattre les murailles d’Ishroun et éteindre le culte de la Première Flamme, Araatan se donne un an.
Elle s’appelle Xosum. Née esclave, elle était la meilleure dresseuse de chevaux des plaines. Pour avoir tenté de castrer le fils de son maître, elle a été enchaînée nue à une tour pleine de morts. Alors qu’elle attend résignée le baiser mortel du gel, quatre cavaliers la délivrent. Ces hommes durs retournent auprès du Grand Qsar.
Kosum, qui croyait mettre un pied dans la guerre, va entamer un tout autre voyage.
FRANCK FERRIC, né en 1979, a publié une cinquantaine de nouvelles, deux recueils et quatre romans. Le dernier en date, Trois Oboles pour Charon, a été finaliste du Grand Prix de l’Imaginaire.
Critiques
Connaissez-vous cette vieille blague ? Il faut trois choses pour faire un bon livre (ou film). Un, une bonne histoire, deux, une bonne histoire et trois : une bonne histoire. Blague conservatrice, fausse, car l’expérience montre que les livres forts – ceux qui nous font réfléchir et savourer longtemps l’histoire – possèdent des facettes, une multiplicité d’approches qui l’éclairent sans jamais l’épuiser…
Dans le roman de Franck Ferric, les trames de l’histoire et de la grande Histoire se conjuguent, comme un jeu – un modèle – qui permet de les tresser comme une corde : le jeu consiste alors pour l’auteur, à bâtir un univers… et les personnages qui en sont la trame : acteurs de l’Histoire ou simples marionnettes d’un processus qui les dépasse ? Dans un pays, qui pourrait être Babylone ou les plaines de la Chine, des tribus de montagnards dévalent dans la plaine, poussés par la faim et se confrontent à une civilisation riche, avec ses cités, sa maîtrise de l’agriculture, ses canaux, ses routes, et sa religion.
Habitué de ces razzias, le Karkr des plaines envoie son ambassadeur, Sombor, muni d’une rançon mais le grand Qsar Araartan exige cette fois un prix de démesure. Pour appuyer ce qui se révèle être une déclaration de guerre, il demande à l’ambassadeur de retrousser sa manche : d’un coup de son hansart, il lui tranche le bras.
Ce grand Qsar – un géant, haut comme deux hommes – a réussi l’exploit d’unifier les tribus sous son égide. Ce Qsar poursuit un idéal singulier : il veut tuer, non pas la civilisation, mais le dernier des dieux et cela passe par la destruction de la grande cité d’Ishroun.
Les civilisations n’ont pas conscience de leur déclin… et c’est la mission des conquérants que de leur révéler leur fragilité au prix d’un carnage.
En lisant, j’ai pensé à Gengis Khan, à Tamerlan, à ces tribus montagnardes prenant d’assaut Babylone dans l’Antiquité. Les civilisations sont mortelles et on se souvient que, si Tamerlan laissait sur son passage des pyramides de têtes tranchées, il échangeait aussi des ambassades avec Charles VI… Franck Ferric aborde ici le roman avec un regard d’historien et s’en tire avec brio.
Les Historiens s’extasient devant ces conquérants qui bâtirent des empires et dont l’avènement par la terreur fut facteur d’autres progrès. Bâti sur une kyrielle de royaumes décadents, l’unification réalisée par les Mongols sécurisa les caravanes, amenant en Occident la soie, les épices, la poudre à canon, le papier et l’imprimerie et favorisa l’essor des civilisations occidentales à la Renaissance.
La grande Histoire, se moque de la petite, et c’est tout le mérite de ce récit de décadence et de conquêtes que ce contrepoint où Kosum, jeune errante, battue, torturée, libérée, puis ballottée de batailles, en bagarre et en fuites, de survivre malgré elle et de s’approcher d’une autre civilisation… montrant que la quête du dernier dieu est vaine et qu’un nouveau guette le voyageur…
Laissez-vous donc prendre par la main, et baigner vos yeux de sang, de cruauté, de ce Chant Mortel du Soleil qui conjugue avec élégance dans sa trame, des batailles, des affrontements, l’Histoire et ces destins. Qui mène le grand Qsar ? Son désir de tuer le dernier dieu ? La faiblesse de son ennemi ? Ou les lois de l’Histoire dont il ne serait lui aussi que la marionnette au même titre que Qosum ?
Depuis des décennies, ceux des plaines endurent la menace de ceux du Qsar. Au retour de l’hiver, les géants déferlent en effet de la montagne pour piller les communautés sédentaires de la plaine et détruire leurs lieux de culte qu’ils honnissent par-dessus tout. Pour conjurer le péril et amoindrir les déprédations, le roi des plaines a jadis signé un accord avec ceux de la montagne, s’acquittant d’un tribut pour renvoyer les géants chez eux. Ses descendants pensaient ainsi avoir écarté pour longtemps la menace de leurs violents voisins. Mais, inspiré par un mystérieux sorcier masqué, le Grand Qsar Araatan décide de rompre ce pacte afin de mener la croisade contre tous les dieux jusqu’à son terme, traquant leur ultime représentant et ses fidèles réfugiés dans la cité sacrée d’Ishroun. Loin des préoccupations sanglantes des puissants de ce monde, Kossum s’efforce de survivre sous les quolibets, les brimades et les coups de ses maîtres. Née esclave, de surcroît au sein de la race maudite des Sukaj, elle ne trouve le réconfort que dans le dressage des chevaux. Délivrée du châtiment auquel on l’avait condamnée, elle fuit avec quatre cavaliers au service du Qsar. Elle ne tarde pas à entamer en leur compagnie un long voyage vers le soleil levant, à la rencontre de son destin.
Premier roman francophone édité par le label Imaginaire d’Albin Michel, Le Chant mortel du soleil calme tout net l’amateur de fantasy épique. Renouant avec les thématiques de Trois oboles pour Charon(critique in Bifrost n°77), titre paru chez Denoël « Lunes d’encre », le nouveau roman de Franck Ferric abandonne ici le destin funeste de Sisyphe, condamné à renaître pendant les pires batailles de l’Histoire jusqu’au terme de l’humanité, pour un univers âpre, confrontant la destinée des hommes et des dieux à l’illusion du libre-arbitre. Dans un monde antédiluvien sur lequel pèse le joug d’une entropie irrésistible, une fin de cycle appelant à un renouveau, un reboot métaphysique, l’auteur met en scène l’absurdité de l’existence humaine et des grands desseins des rois et conquérants. On suit ainsi deux trames narratives, assistant au siège de la cité d’Ishtoun, un spectacle dantesque, prélude à cette Fin de Tout recherchée par ceux du Qsar. On chevauche aussi vers l’Est avec Kossum et ses compagnons de fortune, main dépareillée de guerriers désabusés, amputée de surcroît de son capitaine envers qui Kossum se sent redevable. Une interminable équipée au cœur de terres désertes, parmi les ruines de cités oubliées de tous et la poussière de leurs vestiges, à la recherche du tombeau d’un dieu mort et du berceau de la civilisation. Au cours du récit, la détresse intime se frotte à la marche d’une humanité en bout de course, se cherchant des raisons pour continuer à écrire sa propre histoire. Le bruit et la fureur des combats y côtoient le silence des tombes et la solitude de la steppe déserte. D’une écriture somptueuse, au champ lexical imagé et inventif conférant au texte une beauté primaire, Franck Ferric cherche le mot juste pour approcher au plus près de l’authenticité des émotions d’individus écrasés par le carcan de leur condition.
Avec un titre que n’aurait pas désavoué Gérard Manset, Le Chant mortel du soleil se révèle donc comme une geste épique, âpre et violente, enracinée à une époque crépusculaire, où des héros aux allégeances fragiles se cherchent des raisons de continuer à avancer, au-delà de l’horizon limité de leur destin, au-delà d’une Histoire écrite par les vainqueurs, au-delà d’une existence humaine fragile et éphémère.