Tresses - souvenirs du narratocène de Leo Henry est un roman fantastique basé sur les travaux du scientifique Hervé Le Guyader (spécialiste de la biologie moléculaire) en particulier, sur l'érosion de la biodiversité montrant que le rythme de l'évolution est aujourd'hui largement dépassé par celui du réchauffement planétaire. Autrement dit, vers l'extinction des espèces - y compris l'humain.
Quatrième de couverture
Lorsque la Catastrophe s’est produite, une partie de l'humanité s’est réfugiée dans les Serres. C'est là qu'elle a survécu, enfermée plus d'un siècle en compagnie de plantes et d'animaux sélectionnés. Dehors, les guerres ont fini de s'épuiser, le climat de se stabiliser : l'heure est venue de reconquérir la Terre.
TRESSES raconte une expédition dans cet univers devenu étranger, et les retrouvailles des habitants des Serres avec une humanité ayant suivi un autre chemin. L’héroïne, accueillie par une tribu vivant en autarcie dans un volcan éteint, voit ses rapports au monde et aux autres profondément remis en question.
TRESSES recueille également les récits entremêlés que produisent les humains en un temps de bascule, cet âge à venir où notre espèce est sur le point de diverger en plusieurs branches nouvelles. Une ère de transition dans laquelle les contes sont au cœur de l’expérience du monde : le narratocène.
Léo Henry est assez vieux pour se souvenir de la catastrophe de Tchernobyl (de peu). Il écrit des livres (mais pas que), de science-fiction (mais pas que). Il a beaucoup aimé, pour celui-ci, le travail de recherche et de documentation. Il n'est pas certain que fiction et réalité soient des notions opposées.
« Nous sommes immortels non parce que notre savoir survivra mais parce qu'il s'effacera et laissera place à autre chose. Nous sommes les humains du narratocène : lents, impuissants, fragiles, reliés entre eux et à tout ce qui prolifère autour. Nous vivons pour dire et prêter voix aux esprits, aux désirs, aux chèvres et aux nostocs qui sont comme nous, aux machines, aux principes de la thermodynamique, aux mouvements géologiques, aux séquences ADN, aux siècles, à la musique et à la mort. Nous sommes des voix, des vibrations de l'air, des signaux émis, dégradés, étouffés, des messages contredits, complétés et affinés, entremêlés. Nous ne disons pas : il faudrait dire que, nous le disons. »
Léo Henry, écrivain de fantasy et de science-fiction,auteur de bandes dessinées et de jeux de rôle. Denis Vierge, dessinateur et illustrateur réputé pour ses « dessins narratifs ». Hervé Le Guyader. professeur de biologie évolutive, est un scientifique mondialement connu pour ses travaux qui ont conceptualisé une nouvelle approche phylogénétique de l'évolution de la vie et de la classification du vivant.
Critiques
Les éditions Dis Voir publient des ouvrages sur la culture contemporaine dans les domaines des arts. Leur collection de contes illustrés ambitionne d’introduire par la fiction un partage d’imaginaire entre les plus récentes recherches en science, la littérature et l’art. Au cas présent, Léo Henry s’est inspiré des travaux d’Hervé le Guyader, professeur de biologie évolutive qui a théorisé les mécanismes d’érosion de la biodiversité, autrement dit de l’extinction des espèces. Illustré sobrement par Denis Vierge, le tout constitue une variation brillante (et pas donnée !) sur le genre bien encombré de la fiction post-apocalyptique.
L’histoire en est toute simple : une succession de crises climatiques, d’épidémies, de guerres pour les ressources, a décimé la majeure partie de la population de la planète. Une poignée de survivants s’est réfugiée dans les Serres, qui tiennent à la fois du « bunker, du laboratoire et de la cité utopique ». Génération après génération, les habitants de ces univers de poche savamment contrôlés tentent de maintenir intact le savoir humain et de perpétuer les différentes formes du vivant. Depuis leurs bastions, ils envoient régulièrement vers le Dehors, c’est-à-dire à la surface d’un monde rendu à la sauvagerie et au chaos primordial, des missions d’exploration afin de récupérer des matériaux utiles, mais surtout d’accroitre la somme de leurs connaissances, dans une perspective plus ou moins lointaine de recolonisation.
La narratrice, bibliothécaire, appartient à l’un de ces corps expéditionnaires. Le récite relate son périple dans une île volcanique envahie de végétation, dont les hauteurs sont occupées par une tribu d’hommes ayant régressé vers une forme d’animalité. L’exploratrice ne voit d’abord en eux que des êtres incultes et quasi mutiques, communicant de façon inintelligible, aimant la paresse et les jeux plutôt que l’apprentissage de la connaissance. D’abord distante, voire indifférente à la présence de cette étrangère, la tribu livre progressivement son secret…
Sur une planète qui ne cesse d’être pillée et saccagée par l’inconscience industrieuse d’hommes obnubilés par le progrès et le rendement, le futur imaginé par Léo Henry a moins valeur de prophétie que de miroir : nous y sommes, en fait. Comme dans le roman, nous pouvons d’ores et déjà et à tout instant être contraints de nous abriter sous serres pour essayer de ne pas disparaître. En nous invitant à considérer la diversité et la beauté de nos écosystèmes, y compris dans ses formes de vie les plus primitives ou dans ses aspects inertes ou intangibles (intégrant, selon le point de vue de l’auteur, la fiction), Tresses, souvenirs du narratocène s’interroge en réalité moins sur le devenir du monde que sur les capacités de ce dernier à survivre à un effondrement de plus en plus plausible. Pour le dire autrement, le narratocène a déjà commencé.
Sam LERMITE Première parution : 1/1/2020 dans Bifrost 97 Mise en ligne le : 14/12/2023