La série des berserkers — ces épaves d'une guerre depuis longtemps oubliée qui, livre après livre, cherchent à anéantir l'humanité — fournit sans doute un excellent exemple des raisons pour lesquelles la science-fiction est à la fois méprisée par certains et passionnément adorée par d'autres. Elle est un peu comme un philosophe costumé en bouffon, que ses fidèles écoutent attentivement malgré son accoutrement.
L'accoutrement ici, c'est le côté bagarre spatiale qu'a — nécessairement ? — la série des berserkers ; aussi et surtout l'écriture franchement catastrophique, dans ce volume probablement due tant aux imperfections de Saberhagen lui-même qu'aux insuffisances de la traduction. (« Mais c'était bien d'ici que provenait la contamination maléfique qui entachait tout le Noyau... »)
On peut passer sur ces dernières sans trop d'effort, mais beaucoup même parmi les lecteurs de SF se détournent à la vue de l'étiquette « space opera ». L'auteur lui-même fait sans cesse des références malicieuses aux « récits d'aventures spatiales » que lisait son héros, Michel Juedhay, un garçon de onze ans promis à un destin exceptionnel, hybride entre homme et machine. C'est évident, qui peut écouter un philosophe attifé en clown — si ce n'est un gamin ? Et, bien sûr, ses lectures le tireront d'affaire plus d'une fois.
Mais hommes et machines sont-ils bien différents ? Ce qui sauve de l'oubliette le livre — et la série — c'est cette interrogation perpétuelle sur les rapports entre les hommes et leurs adversaires. On sait bien qu'un combat suffisamment prolongé crée un mimétisme entre les opposants, les pousse à adopter les méthodes d'en face, et de fait un des personnages secondaires les plus importants du livre, le colonel Marcus, a tant perdu d'organes de son corps dans les batailles de l'espace qu'il n'est plus qu'une caisse à roulettes dans laquelle flotte son cerveau. Et les vaisseaux qu'il a pu commander sont contrôlés par leurs ordinateurs de bord, tout comme ceux que l'on appelle les berserkers. Mais c'est lui qui rappelle à Michel : « Nous sommes humains. Nous nous sommes associés aux machines, mais les chefs, c'est nous. »
Les berserkers pour leur part n'hésitent pas à s'associer aux humains, aux sectateurs de l'Anti-Vie, sombre foi qui prône le retour à la poussière. Mais les berserkers ont créé le culte, et les chefs, c'est eux.
Quant à Michel, s'il est bien né de parents humains, il a des capacités uniques qui vont conduire les militaires à le recruter de force et à l'intégrer à un nouveau système d'armes qui fera de lui un cyborg capable de battre les berserkers à lui seul. Mais sa puissance quasi illimitée ne va-t-elle pas faire de lui un pion incontrôlable, voire un nouveau dieu d'acier ?
Si les premières histoires de berserkers reposaient sur des solutions ingénieuses, à la façon des histoires de robots d'Asimov, la série a connu progressivement une dérive mystique. Le mystère naît ici, comme souvent en SF, d'une interrogation épistémologique sur un phénomène scientifiquement inexplicable — le Taj — qui va se retrouver au cœur de l'intrigue, et des particularités de Michel. Même si l'idée du Taj est assez maladroitement présentée (suffit-il d'exhiber un objet circulaire pour lequel le nombre pi est égal à 3 pour créer l'interrogation cosmique ?), elle est un germe sur lequel l'imagination du lecteur doit greffer le travail qui manque peut-être au texte lui-même. Si vous l'approchez dans ces esprits, vous pourrez tirer autre chose de L'homme berserker qu'un roman d'aventures de série B.
Pascal J. THOMAS (lui écrire)
Première parution : 1/11/1983 dans Fiction 345
Mise en ligne le : 2/1/2006