1 - La Rivière du hibou (An Occurrence at Owl Creek Bridge, 1890), page 9, nouvelle 2 - Le Fils des dieux (A Son of the Gods, 1888), page 21, nouvelle 3 - Le Coup de grâce (The Coup de Grâce, 1889), page 33, nouvelle 4 - Parker Adderson, philosophe (Parker Adderson Philosopher, 1891), page 41, nouvelle 5 - L'Homme et le serpent (The Man and the Snake, 1890), page 51, nouvelle 6 - L'Affaire de Coulter's Notch (The Affair at Coulter's Notch, 1886), page 63, nouvelle 7 - Une disparition (One of the Missing, 1888), page 75, nouvelle 8 - La Rivière de la mort (Chickamauga, 1889), page 91, nouvelle 9 - Les Funérailles de John Mortonson (John Mortonson's Funeral, 1906), page 101, nouvelle 10 - Un cavalier dans le ciel (A Horseman in the Sky, 1889), page 105, nouvelle 11 - Messaline des montagnes (A Holy Terror, 1882), page 117, nouvelle 12 - Le Troisième orteil du pied droit (The Middle Toe of the Right Foot, 1890), page 137, nouvelle 13 - La Fenêtre condamnée (The Boarded Window, 1891), page 149, nouvelle 14 - Une histoire de revenants (The Suitable Surroundings, 1889), page 157, nouvelle 15 - Le Mort et son veilleur (A Watcher by the Dead, 1889), page 171, nouvelle 16 - Un habitant de Carcosa (An Inhabitant of Carcosa, 1890), page 184, nouvelle 17 - La Route au clair de lune (The Moonlit Road, 1907), page 193, nouvelle 18 - Une nuit d'été (One Summer Night, 1906), page 207, nouvelle 19 - Histoire d'une conscience (The Story of a Conscience, 1890), page 211, nouvelle 20 - Un certain genre d'officier (One Kind of Officer, 1893), page 223, nouvelle 21 - La Mort à Resaca (Chickamauga, 1889), page 237, nouvelle 22 - Une satanée créature (The Damned Thing, 1893), page 247, nouvelle 23 - Au-delà du mur (Beyond the Wall, 1907), page 259, nouvelle 24 - Une tombe sans fond (A Bottomless Grave, 1888), page 273, nouvelle 25 - Le Club des parenticides (The Parenticide Club), page 283, recueil de nouvelles
Critiques
DU DESESPOIR CONSIDERE COMME L'UN DES BEAUX ARTS
Voici un livre cadeau, je veux dire un livre à s'offrir, et ce, même si l'on connaît déjà la plupart de ces textes, embrumés d'absurde et qui constituent le cœur horrible de la vie. Quelques unes des traductions nouvelles de E. Michaud, M. Lederer et S. Moinest méritent le détour, elles insistent sur le côté glacé, glacial du texte. Mais la plus grande originalité, c'est d'avoir illustré les nouvelles grâce à des dessins d'Heinrich Kley, un contemporain allemand du grand auteur américain : entre les textes agencés selon une logique de machine infernale, froids en apparence, et l'incongru ou le fantasmatique de certains dessins s'établit un dialogue parfois cocasse mais toujours révélateur. Curieux destin littéraire que celui de Bierce, que l'on retrouve et redécouvre en France à dates régulières, puis dont l'étoile semble s'éteindre, pour ressurgir ensuite comme si il répondait à un appel. Il y a une dizaine d'années, c'était Jacques Papy qui, dans de poétiques traductions, le faisait redécouvrir : certains se souviennent des Histoires Impossibles, des Morts violentes (Grasset), Au cœur de la vie(Julliard) des Contes noirs(Losfeld) sans oublier le merveilleux Dictionnaire du Diable qui eut l'honneur d'une édition de poche et les Fables Fantastiques chez Losfeld. Hélas, tous ces textes sont épuisés, introuvables, et les lecteurs nouveaux jusqu'à ce jour étaient sevrés. Ce recueil des Humanoïdes vient donc à son heure répondre à un besoin : il est composé de 25 nouvelles, un écrémage des meilleurs textes, il permet d'approcher l'univers de Bierce. Cet univers de nuit n'a pas vieilli, comme s'il se situait hors du temps et des modes : Jacques Sternberg pourrait récrire la même préface fascinée qui ouvrait Au cœur de la vie. Bierce est en gros contemporain de Mark Twain, de Henry James, de Bret Marte : il fait donc partie des fondateurs de la littérature américaine, et toute une tradition des « romans de guerre » d'Hemingway jusqu'à Mailer y puise des scènes, des situations. Né en 1842, dans l'Ohio, il a — selon la bonne tradition — exercé divers métiers : chercheur d'or, gardien de port, et surtout journaliste : ses œuvres complètes forment 12 volumes dans l'Ed. « Collected Works » (1909-1912).
Il a participé, aussi, à la Guerre de Sécession, qui lui a inspiré ses récits les plus connus, comme celui qui donne son titre au recueil, La rivière du Hibou dont R. Enrico tira jadis (ou naguère ?) un très bon film. La guerre avec son mélange de règlements, d'ordres, de choix, de courage, de sang, de bruit, de silence et de déchirements -il ne faut pas oublier qu'il s'agissait d'une guerre civile, autrement des récits comme l'affaire de Coulter's Nutch ou Un cavalier dans le ciel seraient invraisemblables) la guerre, donc, lui fournit le modèle achevé de l'absurdité. La preuve de l'ironie du hasard dans l'Histoire, sentiment qui, plus tard, inspirera C. Fort et son Livre des Damnés. Bierce a lui-même donné une clé, la plus évidente, de sa fascination pour l'impossible qui, pourtant, se produit, dans son recueil Can such things be ? (De telles choses peuvent-elles exister ?). Cette vision du monde apparaît à l'état « pur » dans quelques nouvelles, où l'auteur joue vis-à-vis du lecteur le rôle du metteur en scène ironique que Bierce attribue au hasard. Pensez à La Rivière de la mort : Un enfant de six ans, heureux dans un décor idyllique se promène aux alentours de sa ferme : il livre d'imaginaires combats, puis il s'endort et rêve d'une bataille. Bataille qui se livre autour de lui peut-être. A son réveil, il retourne à la maison, étonné par ce qu'il rencontre en route. Mais il ne reconnaît pas la maison, gémit devant le cadavre mutilé de sa mère, avec des gestes et des cris de bête. Et le regard se focalise sur l'enfant qui n'avait rien entendu, qui ne peut que souffrir, emmuré dans sa solitude de sourd-muet. Tout l'horrible chaos du monde en guerre et en folie saute, avec la révélation de l'infirmité de l'enfant, à la conscience du lecteur. Rarement l'horreur a été présentée de manière aussi palpable. A la différence des œuvres fantastiques, où c'est l'irruption du surnaturel qui déstabilise la raison, chez Bierce c'est souvent l'apparition de l'humanité qui suffit à créer l'horreur. Si toutes les nouvelles de Bierce ne sont pas aussi atroces, toutes participent de cette vision de l'homme en proie à un destin sardonique : ce sens, cette œuvre est à l'exact opposé de l'univers du conte merveilleux où la Providence veille à restaurer à la fin un équilibre gratifiant. Ici, l'individu reste seul, dans un monde qui lui offre peu de choix sinon la mort ou l'absurde : mais rien de mélodramatique I Au contraire, une économie extrême de moyens, une absence totale d'effets : la nudité du désespoir. Et ce ton détaché mime le regard froid du destin.
On peut comprendre qu'un auteur de ce type soit dérangeant, dans les périodes d'euphorie sociale. Mais, comme Lautréamont, ce sont des auteurs vers qui l'on se tourne dans les périodes de crise, quand, lassés de la pantomime des baudruches, on a besoin de décapant. On peut aussi y faire provision d'humour noir, ce qui n'est pas superflu par les temps qui rampent.