« SOS Horoscope », c'est la technologie la plus moderne au service de votre destin. Ses équipes de spécialistes, dotés d'ordinateurs ultra-performants reliés aux satellites de la Nasa, vous guideront scientifiquement vers la chance, la réussite et le bonheur.

     Pour Marie, la zonarde à la dérive, sans famille et sans ressources, c'est l'espoir de sortir enfin de la galère. Et notamment d'échapper aux frères Zoltan qui n'hésitent pas à infliger, à celles qui refusent de « travailler » pour eux, la plus atroce des punitions.

     Les horoscopes, on y croit ou pas. De toute façon, c'est inoffensif, et parfois ça remonte le moral.

     Mais quand ça se met à marcher, à se réaliser point par point, au jour dit, à l'heure dite...

     Même au prix du meurtre...

     Alors, cela fait peur.

     Au début, je pensai à Gaston Leroux, peut-être à cause de son légendaire Dîner des bustes et ses réjouissantes mutilations gastronomiques ¹, ou à Thomas Owen et à son obsession des mains qu'il illustra notamment dans La Princesse vous demande ². Et puis, un ami me rappela une curieuse rumeur ³ : vers 1986, on raconta que, dans le métro, une valise portée par un Noir s'ouvrit brusquement pour révéler... une main coupée !

     Si Brussolo a trouvé quelque part son inspiration pour la scène des mains coupées emplissant le cartable de la consigne qui ouvre de façon grand-guignolesque La route obscure, c'est certainement dans cette dernière anecdote. Quant à l'astrologie prétendument scientifique...

     Mais n'anticipons pas.

     Marie est une jeune paumée, qui survit en tenant un stand de loterie foraine. Un beau jour, elle voit arriver un client bizarre qui gagne tout ce qu'il veut, affichant une veine insolante. Son secret ? Un abonnement, fort efficace, à un service d'astrologie scientifique discret et curieusement difficile sur le choix de ses abonnés, S.O.S. Horoscope. Mais Marie parvient à se procurer l'adresse, et, en escroquant les dangereux frères Zoltan, qui l'auraient bien vue en strip-teaseuse de foire, souscrit au service d'horoscope. Elle s'enfuit à Paris, et la chance paraît bien tourner en sa faveur. Comment expliquer autrement, par exemple, la découverte d'un portefeuille bourré de billets de banque ? Ou le fait qu'un des frères Zoltan, qui voulait « punir » Marie pour sa fugue, soit retrouvé assassiné, à l'occasion, semble-t-il, d'une rixe entre clochards ?

     Pourtant, Marie s'inquiète. Les conseils de S.O.S. Horoscope deviennent pressants. Vraiment, son cas est astrologoquement délicat. Les méthodes « scientifiques » classiques pour influencer les astres, à base de satellites ( ! ?), ne suffisent plus. Les grands moyens s'imposent : il faut modifier chirurgicalement ses lignes de la main ! Idée folle et étrangement logique, qui trouble tout de même la naïve Marie. D'autant plus qu'en entrant dans un appartement dont elle a fortuitement (hum !) trouvé les clés, elle tombe sur le cadavre d'une jeune femme, ancienne cliente de S.O.S. Horoscope, à laquelle on a coupé les mains !

     Je n'irai pas plus loin dans mon résumé de La route obscure, j'en ai déjà presque trop dit. Sachez simplement que Brussolo retombera sur ses pieds, sans jamais faire basculer son récit dans l'inexpliqué ou l'inexplicable. Certes, il laissera, à la fin, une porte légèrement entrouverte à l'explication fantastique, mais c'est un clin d'œil au lectorat connaisseur, auquel on ne la fait pas. Car je n'en doute pas une minute : les lecteurs de Brussolo sont des gens éclairés qui savent bien que l'horoscope (surtout « scientifique ») ou les lignes de la main, c'est de la foutaise, et qui rejettent avec mépris des délires du type de l' »hérédité planétaire » chère à Michel Gauquelin ⁴. Ou bien, s'ils y croyaient, ils en seront dégoûtés par La route obscure. Une bonne action de la part de Brussolo, que l'on n'avait guère l'habitude de rencontrer dans le rôle de pédagogue (sauf, bien sûr, dans certaines interviews, où il radote sur la SF ou les règles à suivre pour devenir écrivain à succès, mais c'est sans grand intérêt).

     Dans La route obscure, Brussolo, ce qui ne gâte rien, a mis la pédale douce sur les accumulations de métaphores biologiques dégoulinantes et les scènes de miction, enivrantes (si j'ose dire) pour certains lecteurs, mais fatigantes à la longue pour d'autres. L'ambiance du roman reste cependant malsaine, et ses fidèles ne seront pas déçus. Nous tenons là un Brussolo « tout public », doté d'un scénario solide, qui serait facilement adaptable au cinéma ou à la TV.

     L'ouvrage n'est pas sans défaut. Au niveau du décor, Brussolo est plus à l'aise dans les fêtes foraines que que dans un Paris mal décrit et incertain auquel on ne croit pas vraiment. On s'étonne aussi de voir passer dans l'esprit de Marie la paumée, des raisonnements et spéculations qui dépassent de loin sa culture et ses capacités mentales présumés.

     Mais enfin, tel quel, ce court roman (que les éditions Denoël nous présentent, fort charitablement, dans une typographie pour mal voyants) est à placer au même niveau que quelques-uns des meilleurs « Angoisse » Fleuve Noir de la grande époque. Nostalgiques des Yeux sans visage, ne le ratez pas !