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Le Château de l'horloge

Lise DEHARME



JULLIARD (Paris, France)
Dépôt légal : 1955
Première édition
Roman, 252 pages, catégorie / prix : 600 Fr
ISBN : néant
Format : 14,0 x 19,0 cm
Genre : Fantastique


Pas de texte sur la quatrième de couverture.
Critiques

    Je suis en retard pour parler de l’ambigu, du précieux, du fluctuant « Château de l’horloge », de Lise Deharme (Julliard, édit.). Mais c’est fort bien, cela m’a permis de le relire avec les yeux de la mémoire. « Le château de l’horloge » est un roman qu’on commence à lire une fois qu’on l’a fermé. Il se déroule alors en vous comme un fleuve, les rives sont autant de paysages que d’abord on n’avait pas eu le temps d’apercevoir. À la lecture, le rythme de Lise Deharme, c’est celui de l’aquaplane ; elle file d’une image à l’autre, amasse, moissonne, vous étourdit sous les gerbes de fleurs – et on se rend compte tout à coup qu’elle n’est plus là et qu’on l’a perdue de vue, car on n’a pas très bien saisi, sur le moment, ce qu’elle cherchait à dire… Avec le souvenir, on a la « vue d’avion » : on découvre que ce kaléidoscope était un monde. Il ne reste plus qu’à y retourner ; cette fois, on fait du bateau-mouche, on flâne, on s’amarre au bord d’une plage et on lui trouve un nouveau visage, pour un peu on la retournerait pour voir si elle ne se lit pas aussi à l’envers.

    Tout cela, c’est une jolie carte du Tendre à la frontière du Pays des Merveilles. Il y a du chatoyant, du diapré, de l’irisé, comme dans le nom de Mme de Toutes Couleurs, bouffonne d’Isabeau de Bretagne et génie tutélaire, à travers les âges, des personnages de l’histoire. Lise Deharme est la fille des fées et la sœur des poètes ; elle a sucé, enfant, le lait de Lewis Carroll et de Perrault. Ses marraines – la Fantaisie ailée et l’Imagination – à son berceau ont dû agiter des petits grelots, autant de grelots qu’il en tinte dans la cervelle de la jeune et ravissante Marie-José de Pomède, son héroïne, dont la folie douce est la sagesse et qui, dans ses atours absurdes qu’elle retrousse à plaisir, commet d’admirables extravagances. Lise Deharme jardine les cantons de l’imagination et y sème la féerie en guise de chardons et d’herbes sauvages. Elle ratisse avec une baguette magique, arrose d’un peu de loufoque, frappe dans ses mains et fait jaillir de terre, tout armé, le château de l’horloge. Il ne reste plus qu’à venir y faire trois petits tours au lézard gîté sans doute sous le cadran solaire, un lézard à la queue fourchue qui est peut-être aussi une salamandre fleurant bon le soufre…

    Une phrase du roman semble faite pour en définir le propos : « Pour entrer dans le domaine de la féerie, il faut en ouvrir simplement la porte. » Lise Deharme ouvre grande la porte, trempe sept fois sa plume d’oie dans l’encrier de la magie et du songe et laisse libre cours très exactement à tout ce qui lui passe par la tête. Comme cette tête est aussi pleine de choses qu’un vieux grimoire, un herbier ou une collection de papillons, le résultat est charmant et étourdissant. On est un peu ébahi. La technique de Lise Deharme est de toujours introduire l’élément auquel on s’attend le moins. On ne sait pas très bien qui sont ses personnages ni même s’ils pensent, en dehors des idées baroques ou saugrenues qu’elle consent à leur prêter. Après tout, ils ne sont peut-être que des automates du XVIIIe siècle ou des hochets entre ses doigts fuselés. Mais l’araignée du soir qu’ils ont dans le plafond tisse en eux l’espoir des matins sans chagrin. Auprès d’eux, les animaux qui leur servent de compagnons sont raisonnables et graves comme s’ils avaient mille ans. Mais que sont humains ou animaux ? Le bouc noir nommé « Celui-là » vous regarde d’un drôle d’air et, sous le jeune garçon dont on ne sait pas le vrai nom, on voit percer le petit dieu au carquois.

    Lise Deharme a le secret des enchanteurs. Elle possède le don de changer les vierges sages en vierges folles, les citrouilles en automobiles, les scooters en carrosses – et les vessies en lanternes. Pendant 250 pages, elle vous raconte une histoire qui n’en est pas une, son art étant précisément de vous faire croire que c’en est une, à moins – art suprême ! – que ce soit le contraire. Son livre est comme les paysages d’Arcimboldo, qu’il faut regarder dans tous les sens avant de les voir former une figure étrangère. Il éblouit, irrite, séduit, déconcerte ; on lui en veut presque de vous plaire avec du vent et de la poudre aux yeux. Mais cette poudre est de la poudre de perlimpinpin qui fait renoncer à l’usage des grains d’ellébore. Il n’y a plus qu’à abandonner toute conception de logique et à déguster comme un sorbet où se mélangeraient la framboise, le caramel et la pistache, ce conte de fées pour grandes personnes, cette histoire de fous pour enfants sages.

Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/9/1955 dans Fiction 22
Mise en ligne le : 6/4/2025

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