Ce roman nous conte l'histoire plaisante, un tant soit peu philosophique et moralisatrice, d'un homme qui rencontre son idéal féminin en la personne d'un mannequin de cire. Comme tout ce qu'écrit Lise Deharme, c'est un livre qu'on a un peu peur d'abîmer en en parlant. Tout y est léger ; les phrases dansent un ballet de figures aériennes. L'auteur touche à peine à ce qu'elle raconte et navigue au fil de son intrigue comme une araignée d'eau à la surface d'un étang. Et elle laisse de gracieux sillages.
Cependant, celle légèreté enrobe une rêverie plus sérieuse qu'il ne paraît. Il y a des romans où l'auteur s'efface derrière ses personnages ; ceux de Lise Deharme s'effacent derrière elle. Elle parle donc par leur bouche et ne songe pas à s'en cacher. Elle parle de ce qu'elle aime et de ce qu'elle n'aime pas. Ce qu'elle n'aime plus, c'est l'humanité en général. Et ce qu'elle aime, à la folie, ce sont les bêtes, les plantes, la solitude, ainsi que la beauté sous ses formes les plus rares. Il y a à la fois du Voltaire et Rousseau en elle. Mais sa misanthropie est une forme de la tendresse. Et l'amertume, s'il en est, n'y a pas plus de poids qu'une goutte d'eau.
Car cette histoire fantastique et fantasque est celle d'une découverte du bonheur. Qui n'a rêvé d'une femme qui soit la matérialisation idéale de ses rêves ? Cependant, la parole a été donnée à l'homme pour détruire les rêves. Cette femme donc ne sera pas douée de la parole, ni du reste. Ce sera la Comtesse Soir. Chacun de nous a sa Comtesse Soir enfouie quelque part dans le subconscient. Mais pour lui donner vie, il faut d'abord se fermer à la vie extérieure. Si les héros de Lise Deharme ont toujours la cervelle un peu fêlée, c'est que la folie douce est leur recours. Et dans l'univers sans failles qu'ils ont édifié autour d'eux, ils cultivent patiemment une chimère plus vraie que le réel.
Par la négation du monde, reconstruire un monde. Par le refus de la réalité, concrétiser le rêve intime qu'on a au fond de soi. C'est le mécanisme de toutes les névroses, mais Lise Deharme le transforme en opération magique, en approche du merveilleux. Démarche de l'esprit qui présidait déjà à l'élaboration du monde du « Château de l'Horloge », son précédent roman : « Chacun possède un château imaginaire. Les plus sages ou les plus fous s'y retirent à jamais ». Le bonheur ainsi trouvé est celui de la paix du cœur. Est-il trop végétatif ? Non, car l'esprit y donne sa pleine mesure. Simplement ce nouvel univers sera le refuge, le havre primordial. (« Lorsqu'un homme décide de ne plus se soucier du reste du monde, tout s'organise autour de lui avec un calme rassurant. »)
Je ne sais plus qui disait qu'on aime un écrivain à sa « voix ». Une voix qu'on identifie à ses inflexions, une voix qu'on a plaisir à reconnaître. Celle que nous fait entendre Lise Deharme tinte comme une musique limpide. La mode actuelle en littérature est plutôt au bruit – aux roulements de tambour, aux coups de cymbales. Écoutez au contraire Lise Deharme :
« Et voilà qu'après tant de clameurs, de chocs, après tous les râles de l'aventure, j'ai trouvé ce silence que les hommes redoutent tant…»
« Ah ! plutôt mille fois la solitude, et pour tout bruit l'eau d'une rivière coulant sur des cailloux ; plutôt rien : le silence merveilleux où l'on inscrit ce que l'on veut et puis, comme horizon, les arbres sans oiseaux des profondeurs sous-marines. »
Je souhaite qu'il reste des lecteurs à l'oreille assez fine pour capter ce chant de solitude et de silence.
Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/12/1957 dans Fiction 49
Mise en ligne le : 16/9/2025