Étrange roman qui se lit comme un policier et en même temps ouvre à l'esprit des perspectives nouvelles et fertiles.

     Le narrateur — un jeune homme — est engagé comme secrétaire par un certain Jonathan Scrivener. Il s'installe dans le luxueux appartement de ce dernier, mais il ne le verra pas, car Scrivener est parti en voyage la veille ; une lettre, un avocat, une domestique lui donneront les instructions. Intrigué, il se met à inventorier les livres de la bibliothèque, assez disparates d'ailleurs.

     Un soir, il se trouve subitement en face d'une jeune fille qui vient de pénétrer dans l'appartement parce qu'elle en avait la clé. Elle n'est pourtant pas la maîtresse du mystérieux Scrivener, qu'elle connaît depuis peu. Quelques jours plus tard, une autre femme, d'un genre tout différent, qui a d'ailleurs défrayé la chronique, son mari richissime s'étant suicidé, se présente de la même façon. Puis des hommes sonnent à la porte : un alcoolique désespéré qui n'a rencontré Scrivener qu'une seule fois et ne peut l'oublier ; un snob qui se voudrait aventurier mais qui n'a pas d'envergure ; enfin un individu des plus louches.

     Et bientôt Scrivener n'écrit plus. Son avocat lui-même le croit mort. Pourtant le petit monde créé par les rencontres qu'il a provoquées continue à vivre et les individus qui le composent continuent à réagir les uns sur les autres, comme s'ils étaient dirigés par l'esprit de Scrivener jusqu'à ce que leurs expériences arrivent à terme. Alors, au moment même où le narrateur, entraîné dans ce jeu hallucinant, commence à se prendre lui-même pour Scrivener, ce dernier apparaît en chair et en os et se présente par cette phrase (la dernière du roman) : « Je suis Jonathan Scrivener ».

     On comparera peut-être ce livre au « Portrait de Dorian Gray » ou au « Dr. Jekill et Mr. Hyde ». De toute façon, il révélera au public français un des écrivains anglais contemporains les plus valables. HENRY MILLER, qui le tient en très haute estime, le présente dans une merveilleuse préface.