« Si tous les murs ont des oreilles, peu savent garder leur langue. » (p.59)
Carmélia n'est pas une dame mais un « génie du lieu », l'esprit d'une mansarde située sous les toits d'un vieil immeuble du Montpellier historique. Ce sordide appartement renferme une conscience cynique, sournoise, tyrannique, qui se complaît dans la crasse et se repaît de la mélancolie et du mal de vivre de son locataire — en général un jeune étudiant, satisfait de son indépendance toute neuve, loin de ses parents.
Avec vice et malignité, Carmélia manipule à son insu le caractère et les envies de son occupant, le poussant à l'isolement, au spleen, voire au suicide...
L'emballage est trompeur. Le nom de l'éditeur — Le Chat rouge — , la reliure et l'illustration, le titre même, tout évoque le fantastique « moderne » issu d'Edgar Allan Poe ou le fantastique « fin de siècle » (fin XIXème siècle évidemment) à la Jean Lorrain. Le titre évoque irrésistiblement le Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu, au point que le lecteur ne peut s'empêcher d'imaginer qu'il s'agit d'un énième récit de vampire, écrit par un auteur débutant en mal de romantisme morbide...
Erreur ! Carmélia se révèle un texte non seulement moderne mais tout à fait original et étrangement lumineux dans sa noirceur même. En donnant voix à cette diabolique mansarde, dont la méchanceté moqueuse et l'intelligence perverse évoquent une Tatie Danielle devenue tueuse psychopathe, Gérald Duchemin nous offre un roman savoureux, pétillant de malice, qui jette un regard caustique mais non dénué de tendresse sur les divers habitants d'un petit immeuble du Montpellier contemporain.
L'idée de départ — le lieu qui commente et influence les actions et pensées des humains — est assurément toute simple, mais elle est exploitée avec un brio enthousiasmant, du fait de cette ironie étincelante et surtout d'une écriture séduisante. Duchemin n'utilise ici que de très courtes phrases, incisives sans être sèches, qui forment un style d'une élégante musicalité, dont l'apparente simplicité évoque le conte et la poésie — à la manière de l'écriture d'un Francis Berthelot par exemple.
Bref, à sa manière, ce court roman est un petit bijou à côté duquel il serait cruellement dommage de passer si l'on est amateur de fantastique, d'Imaginaire et même de bonne littérature, tout simplement. Quant à Gérald Duchemin, voilà un auteur étonnant qui pourrait bien nous surprendre encore et dont on attend désormais beaucoup.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 19/6/2007 nooSFere