La guerre a pratiquement détruit la Terre et ses habitants. Les Oankali, des extraterrestres, ont sauvé les survivants et les ont maintenus en stase, le temps de réparer la planète. Leurs motifs, toutefois, sont loin d’être altruistes : ils en ont après l’ADN des humains. Plus clairement, le but des Oankali est de s’hybrider avec les Terriens, en les intégrant dans leurs familles, de sorte à concevoir des enfants « façonnés » – c’est ainsi qu’ils agissent avec tous les peuples qu’ils rencontrent. Tout cela, nous l’avons découvert avec L’Aube, le premier tome de Xenogenesis, qui voyait une humaine, Lilith, soignée par les Oankali, certes, mais aussi gardée captive, se révolter contre leurs projets, avant de finalement accepter la situation…
La famille oankali se compose habituellement d’une femelle, d’un mâle et d’un ooloi, lequel est indispensable à la procréation bien qu’il ne fournisse aucun gamète (les ooloi en effet manipulent l’ADN de leurs partenaires afin de bâtir une progéniture telle qu’ils la souhaitent), le tout, bien sûr, en faisant l’amour (la sexualité est un thème très présent chez Octavia E. Butler). Les enfants naissent asexués et ce n’est que lors de la métamorphose qu’ils subissent à l’adolescence qu’ils deviendront réellement mâles, femelles ou ooloi.
Pour former une famille hybride, un couple humain vient s’ajouter à ces trois Oankali. Les premiers enfants façonnés n’étaient que des filles, puis, dans le second volume de la trilogie, L’Initiation, l’un des enfants de Lilith s’est avéré être un garçon, le premier façonné mâle, qui a ouvert la voie de la planète Mars aux opposants, ces humains réfractaires à tout contact avec les Oankali. Quelques décennies plus tard, au tout début d’Imago, Jodahs, un autre enfant de Lilith et sa famille hybride, sent venir sa métamorphose, mais celle-ci se produit de manière discrète, très différente de celle qu’ont vécu ses aînés. Jodahs serait-il un ooloi ? Il n’était pas prévu que naisse un ooloi façonné, aussi les membres de sa famille s’inquiètent-ils à l’idée de ce qu’encourt leur enfant. Les Oankali restés dans le vaisseau en orbite, et qui n’ont jamais aucun contact avec des humains, n’accepteraient pas que soit lâché dans la nature une telle menace. « Un ingénieur génétique naturel défaillant, qui risquerait de déformer ou détruire d’un geste », un danger pour lui-même et pour les autres, voilà ce qu’ils craignent que soit Jodahs, et Jodahs s’effraye à l’idée de ce qu’il pourrait subir en représailles, ou plutôt en prévention. « Peut-être serait-il si dangereux qu’il devrait passer son existence en animation suspendue et que son corps servirait à des expériences indolores, sa conscience éteinte à jamais. » Alors lui et sa famille partent se cacher dans la forêt, où vivent des opposants. Et les humains que Jodahs rencontre se montrent agressifs, à l’exception de quelques personnes des deux sexes, envoûtées par le jeune façonné, lequel découvre la sexualité en même temps que sa métamorphose.
Déjà les deux premiers tomes, L’Aube et L’Initiation, exploraient entre autres le thème du libre arbitre et du déterminisme. Dans Imago, certaines scènes de séduction, rapides, pour ne pas dire certains moments de harcèlement, ne laissent aucun choix aux humains, lesquels tombent sous l’emprise – très agréable, certes, mais tout de même une domination imposée – des oolois. Cela s’apparente à un viol. Je me suis demandé si cela avait pu être involontaire de la part de Butler, car après tout le roman date de 1989, et la notion de consentement a évolué depuis. On peut aussi y lire un rapport entre maîtres et esclaves – les Oankali étant de plus en plus montrés comme des propriétaires de la Terre et de ses habitants. Mais tout ceci peut parfaitement n’être que le fruit de l’imagination d’une lectrice européenne, 35 ans après la parution d’Imago aux USA. Quoi qu’il en soit, ce roman est tout autant passionnant que les précédents (je n’ai pas parlé de la métaphore christique des ooloi qui soignent avec leurs mains et de leurs disciples), et la trilogie s’achève de manière tout à fait intéressante. La boucle est bouclée.
Lucie CHENU
Première parution : 8/4/2024 nooSFere