Carcoma : 1. Vrillette, ver à bois. 2. Préoccupation constante et grave qui vous consume, vous ronge peu à peu.

Aux abords d’un village de Castille, une maison frémissante semble réagir aux moindres faits et gestes de ses habitantes : portes qui claquent, bruits de meuble qu’on traîne, âmes défuntes qui s’accrochent aux mollets et que l’on écrase pour les tenir en respect. Quatre générations se succèdent entre ses murs. Dans cette famille, ce ne sont pas les bijoux ou la tendresse que l’on se transmet de mère en fille, mais les rancœurs, la jalousie, la douleur – la carcoma, qui ronge qui ronge qui ronge.
Derrière les apparitions et les sorts jetés, en sourdine, se cache une histoire bien réelle et d’une violence inouïe. Avec mille nuances, Layla Martínez en explore chaque facette et plonge le lecteur dans un récit aussi glaçant que puissant.

« Une maison peuplée d’ombres et de femmes, édifiée sur la vengeance et la poésie. Un roman tendu, bouleversant, traitant de spectres, de rapports de classe, de violence et de solitude avec naturel, comme si les sorcières avaient dicté à Layla Martínez ce cauchemar lucide et terrifiant. »
Mariana Enriquez

Quatre générations de femmes dans une maison piteuse d’un village espagnol. La première a connu la guerre civile et le franquisme, la dernière a fait un peu de prison, soupçonnée d’avoir enlevé un enfant dont elle avait la garde, puis libérée faute de preuve. Dans cette maison, hantée par des ombres et des saintes, pas d’hommes : soit ils y meurent rapidement, soit ils disparaissent.

Dans cette maison aussi, les femmes vivent de peu : elles n’arrivent pas à en partir, vivotent en tant que domestique de la famille riche du village ou en faisant des travaux de coutures. Et parfois elles disparaissent aussi.

Carcoma commence comme une histoire de maison hantée mais continue comme une histoire de femmes hantées. Hantées par cette maison bien sûr, mais aussi par la violence, qu’elle soit domestique ou de classe. Car tout dans leur vie, leur maison, leur entourage, la famille bourgeoise qui les emploie et les méprise, la garde civile, les exécutions sommaires de l’époque franquiste, tout les ramène à leur condition sociale. Et leur seul recours, leur seule vengeance passe aussi par la brutalité, à l’aide de petits sortilèges ou de méthodes plus définitives.

Layla Martinez, dont c’est le premier roman, nous parle par le biais de l’horreur du sentiment de domination que subissent ces femmes, coincées dans ce petit pays. Alternant les narratrices, elle nous montre que même si le temps passe, rien ne change : une femme seule et pauvre est toujours la cible des gens pensant se situer au dessus d’elle. Le malaise suinte à chaque page et comme dans les meilleures œuvres fantastiques le doute subsiste jusqu’au bout : que se passe-t-il vraiment dans cette maison ? Qu’ont fait réellement ces femmes ?

La traduction américaine de Carcoma a fait partie de la première sélection du National Book Award. On comprend aisément pourquoi : ce court roman, dans le sillage des œuvres de Mariana Enriquez et de Samanta Schweblin, est une grande réussite, aussi bien par la qualité de son écriture que par l’horreur qu’il met en scène.

René-Marc DOLHEN
Première parution : 10/1/2025 nooSFere