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Le Corbeau et autres poèmes

Edgar Allan POE

Titre original : The Raven and Other Poems   ISFDB
Traduction de Henri PARISOT
Illustrations intérieures de Gustave DORÉ

Éric LOSFELD (Paris, France)
Dépôt légal : 1968
Première édition
Recueil de nouvelles, 94 pages, catégorie / prix : 30 F
ISBN : néant
Genre : Fantastique


Critiques

   L’image et le texte : cette alliance est chère décidément à Eric Losfeld, qui réunit en un fort beau volume quatre poèmes d’Edgar Poe et les illustrations que dessina pour Le corbeau le maître de tous les graveurs fantastiques, Gustave Doré.

   Ainsi qu’il devrait être de rigueur pour toute édition de poèmes, le texte original, en anglais, figure en bas de page. La traduction, ou plutôt le texte français qui le surmonte, est due à Henri Parisot, spécialiste chevronné de la poésie insolite. Je me souviens d’avoir vu, l’autre jour, une référence à l’une des premières anthologies qu’il composa après la guerre, Les poètes voyagent et qui devait paraître chez Stock dans la même excellente collection que Vathek : « Les Voyages Imaginaires », mais qui, je le crains, ne vit jamais le jour. Est-ce cette même anthologie qu’il publia – ou réédita – chez Flammarion, dans la collection « L’Âge d’Or » sous le titre Les poètes hallucinés ? Henri Parisot est également l’un des meilleurs traducteurs de Lewis Carroll et d’autres poètes insolites anglais comme Edward Lear. Il excelle à rendre transparentes sans jamais les fausser les subtilités du langage de la poésie fantastique ou absurde. Et c’est un vrai plaisir que de redécouvrir avec lui ce « lointain royaume au bord de l’océan » où « vivait la jeune fille que l’on peut connaître par le nom d’Annabel Lee ».

   À la virtuosité pathétique et en même temps sarcastique des vers du Corbeau répond la virtuosité du trait de Doré qui a choisi d’illustrer ce poème presque ligne à ligne. Le graveur s’est exprimé avec une exceptionnelle subtilité, préférant noyer dans des brumes d’une légèreté diaphane tout ce qui hante le songe du poète. De ces tourbillons d’anges pâles émergent trois formes plus dures, plus denses : celle du poète, celle du corbeau et celle de la mort. Gustave Doré prouve ici une chose : le gris peut être plus effrayant que le noir.

   La qualité de la reproduction est dans l’ensemble bonne. Il ne s’agit pourtant ici, à l’évidence, que de contretypes, les bols ayant probablement été détruits ou pour le moins dispersés. Je regretterai seulement que, sur certaines planchas particulièrement pâles, des contours aient dû être repris à la plume (ainsi page 59). Si légère qu’ait été la touche, elle rompt l’harmonie suave de dégradés infiniment distillés. Il me reste à souhaiter que Losfeld prenne fantaisie d’éditer un jour prochain la célèbre Ballade du Vieux Marin, de Coleridge que Gustave Doré illustra aussi et dont, comme par hasard, Henri Parisot fit une traduction.

   Avant d’abandonner les images, je voudrais signaler une deuxième initiative heureuse de Losfeld sur le plan graphique. Il a fait tirer dans le format original, façon poster, un admirable dessin de Christian Broutin : Le sourire de la Joconde, qui avait figuré l’année passée dans une exposition de la galerie du Tournesol et qui a été reproduit dans le numéro 18-19 de Midi-Minuit Fantastique. Je n’ai pas une admiration égale pour tous les dessins de Broutin et j’avoue priser assez peu ceux où il donne trop librement cours à sa minutie de naturaliste, où il mise trop évidemment sur la perfection photographique du trait. Mais Le sourire de la Joconde m’a laissé, dès le premier regard, pantois et je ne cesserai pas de sitôt de l’être. Un prodigieux paysage fantastique s’ordonne autour d’une nappe d’ombre qui ébauche le fameux sourire. À cinq mètres, on ne voit que lui, monstrueux, presque terrifiant. Puis, quand on s’approche, se révèlent un foisonnement infini de pierres, un jaillissement de falaises qui portent des villes devinées, s’ouvrent des gouffres aux arêtes aiguës. Quatre manières au moins s’opposent et se répondent qui signifient l’enfer, la terre, la forêt et les monts, et les cieux enfin, tourbillonnaires. Elles se fondent pourtant dans une unité d’autant plus, remarquable qu’elle paraît inattendue, Broutin a donné, avec Le sourire de la Joconde, un authentique chef-d’œuvre, au sens médiéval du terme. Et pour le même prix, c’est autre chose que les posters du Drugstore.

Gérard KLEIN
Première parution : 1/7/1968 dans Fiction 176
Mise en ligne le : 13/4/2023

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