Desi, alias Mr Spaceman, vient d'une autre planète :
« Je suis, selon le terme de ceux qui, sur cette planète, croient sincèrement à un univers largement peuplé d'âmes, un extraterrestre. Ou souvent, un alien. Il entre une peur immense dans ce nom d'alien
, étranger. » Rien en lui, pourtant, ne devrait inspirer la peur. S'il possède huit doigts à chaque main et des yeux démesurés, son apparence est presque humaine, sa bienveillance parfaite, ses sentiments proches des nôtres. N'a-t-il pas épousé une Terrienne, la coiffeuse Edna Bradshaw ? Chargé d'examiner la Terre, l'extraterrestre enlève des humains pour quelques heures, et enregistre leurs souvenirs dans son vaisseau invisible. Ce jour-là, un bus et ses douze passagers sont capturés. Edna les rassure, les restaure. Desi les écoute : Henry a longtemps refusé de s'avouer son homosexualité. Tangerine a été traumatisée par son père, traditionaliste religieux. Herbert a été témoin d'un crime raciste...
On doit aux contes philosophiques du XVIII
e siècle —
Micromégas de
Voltaire ou
Les Lettres persanes de
Montesquieu — cette technique qui consiste à faire décrire sa propre société par un étranger qui peine à la comprendre. La science-fiction a repris le motif. Dans
Le Onzième Commandement, Lester Del Rey fait d'un Martien le juge de notre planète soumise à une dictature théocratique.
Si loin du monde de
Jacques Sternberg décrit la mort lente d'un extraterrestre miné par la vulgarité humaine. Avec
Mr Spaceman, Robert Olen Butler utilise l'extraterrestre comme un prétexte, accordant plus d'attention aux témoignages des humains. Un jugement se dégage, à la fois tendre et sévère. Envahi par l'avalanche des mots humains, déstabilisé par la Shoah, les guerres, le racisme, les querelles sentimentales, la petite misère au jour le jour, l'extraterrestre est gagné par une sorte de désespoir. Que ces humains sont violents et qu'ils sont malheureux ! Lui dont la tâche consiste à révéler son existence le 31 décembre 1999 à minuit, ne va-t-il pas subir le sort du Christ qui demandait aux hommes de s'aimer et qui fut crucifié ?
« Je me rends compte qu'une partie de mon épouvante actuelle, face à ma mission, vient de l'impression que ceux d'en dessous observeront mon corps et seront transportés par ses différences avec le leur, qu'ils ne verront en moi que leurs peurs qu'ils transformeront en préjugés, puis en haine, puis en fureur et enfin en meurtre. » Robert Olen Butler a le mérite de replacer la science-fiction dans une tradition humaniste. La compassion est le maître mot de son jugement sur l'homme. On n'en est que plus surpris des œillères dont il s'est affublé : tous les humains qu'écoute Desi sont des Américains, comme si le reste de l'humanité — la plus grande partie — n'existait pas ou ne méritait pas d'être étudié... Un constat qui en dit long sur le contentement de soi de l'Amérique, et son dangereux repli sur elle-même.