Les ouvrages sur le fantastique sont rares. Et cet ouvrage, qui est la réduction d'une thèse, est important à plusieurs titres.
Il touche à un thème peu traité : les discours sur la folie, de 1850 au début du siècle, tels que les aliénistes les tiennent. Cet abord lui permet d'interroger alors ce que disent de la folie les textes fantastiques de la même époque : il s'ensuit une mise en relation curieuse, qui amène à revoir les certitudes que l'on pouvait avoir sur une « naissance » du genre fantastique à une époque antérieure.
Ce n'est pas tout : entre le côté gallocentriste de PG Castex :
Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant. Corti, l'universel abstrait de L. Vax dans
La séduction de l'étrange. Quadrige (que l'on vient de rééditer), le côté touche à tout de
R. Caillois (
Fantastique, in E. Universalis) et le dogmatisme de
Todorov, qui théorise sur un genre à partir d'un seul texte dans
Introduction à la littérature fantastique (Points Seuil), cet ouvrage de G. Ponnau vient combler un vide. Il nous offre une saisie comparée des auteurs français, anglosaxons, allemands et russes dans une fourchette temporelle précise. Certes, aussi bien Vax que Caillois ou I. Bessière, ou les auteurs du
N°611 de la revue
Europe avaient fait des tentatives pour articuler le singulier des œuvres et l'universel supposé du genre, mais jamais de façon aussi systématique, aussi significative et aussi convainquante.
Jamais, jusqu'ici, le fantastique n'avait été mis en relation avec une vision du monde se constituant dans un cadre scientifique aussi précis (et aussi polémique) que celui qui touche aux oppositions entre les « spiritualistes » et les « organicistes » — entre les médecins qui cherchent la pensée dans le cerveau (cf. Changeux. L'homme Neuronal. Pluriel) et ceux qui !a situent dans un « ailleurs », là où se situe l'« âme ». Jamais non plus on n'avait si bien montré que cette opposition se doublait de la mode du magnétisme (ou du mesmerisme), bientôt relayée par le spiritisme. Spiritisme et magnétisme qui sont le lieu d'un combat de « savants », s'appuyant sur les expérimentations (et les trucages) de la photographie, les exhibitions médicales de l'hypnose et de l'hystérie. C'est l'époque où le magnétisme côtoie l'hypnose, les mesmeriens, les sweden-borgiens, les chercheurs sincères, les charlatans. Pour corser la chose, on expérimente sur les capacités de l'esprit : c'est l'époque des drogues, que médecins et artistes avalent et dont les comptes rendus figurent à la fois comme œuvre littéraire et comme appui dans des thèses de médecine (exemple de T. Gautier). Dans cette optique, curieusemen ! la littérature fantastique apparaît en quelque sorte « expérimentale » au même titre que la littérature réaliste et bien plus que la SF.
Relisez, sous la conduite du guide éclairé et passionné qu'est G. Ponnau, certains textes de Poe, d'Hoffmann, de Dostoïevski, et bien d'autres — vous ne les reconnaîtrez pas totalement. De plus vous découvrirez des auteurs peu connus, des références curieuses. Comme avec la thèse de C. Rancy Fantastique et décadence en Angleterre, publiée au même endroit, nous avons ici un ouvrage que l'amateur de fantastique ne peut ignorer.
Roger BOZZETTO
Première parution : 1/7/1987 dans Fiction 388
Mise en ligne le : 10/3/2015