« Qu'est-ce que l'art gothique ? » questionne cet ouvrage. Comme tentent d'y répondre Brom et Sire Cédric, qui se fendent tous deux d'une préface, l'art gothique est multiple, varié, et loin d'accepter de se cantonner au carcan que certains voudraient bien lui attribuer. Certes, le noir y règne en maître, accompagné du rouge, et des visions lugubres ou glauques à base de crânes humains, mais il serait dommage à le réduire à ce seul environnement. On trouvera ainsi nombre d'artistes différents, aux inspirations hétéroclites, qu'elles soient religieuses (les figures christiques et angéliques apparaissent à plusieurs reprises) ou picturales (H.R. Giger est aussi beaucoup pillé). C'est sans doute le principal enseignement de ce livre : on aurait tort de croire qu'un gothique a obligatoirement des cheveux longs, s'habille en noir et porte des lentilles de contact colorées. Ce volume est du reste découpé en plusieurs parties, selon les motifs représentés ; les premières font référence à l'imagerie commune, et à mesure que l'on avance dans le roman on explore des territoires plus étonnants. On ne sera a donc guère surpris de constater que les derniers chapitres sont de loin les plus intéressants, et notamment celui consacré essentiellement à des sculptures (« Créations d'outre-tombe »).
Si cette diversité est la plus évidente des conclusions, il y a plusieurs autres enseignements à retirer de ce livre :
— l'art gothique prend très souvent la forme de peintures numériques,
— quasiment tous les artistes numériques utilisent Adobe Photoshop (sans doute cité plus d'une centaine de fois, à tel point qu'on se demande si l'ouvrage n'a pas été sponsorisé par cette entreprise),
— le numérique, ça peut conduire à des splendides compositions, mais aussi à des belles croûtes.
Bref : il y a à boire et à manger. D'une manière générale, les peintures numériques ici représentées tiennent difficilement la comparaison avec leurs homologues acryliques, fusain ou autres. Certes, on trouvera de très talentueux artistes (Erlend Mork), mais aussi des tâcherons en nombre non négligeable (Anne Stokes, Shannon Hounigan : ouille !) – qu'on me pardonne si je n'y connais rien en art gothique et si mes goûts ne rejoignent pas ceux de la majorité. Et le lecteur peu habitué à ce monde ressortira avec l'impression que derrière le terme « gothique » se cachent beaucoup de choses, y compris des idées ou des thèmes pour lesquels on ne voit pas trop la relation qu'ils entretiennent avec cette dénomination. En tout cas, cela prouve la très grande vivacité du genre, et une faculté certaine à phagocyter des influences fort variées, au point d'accoucher d'un être protéiforme, tour à tour splendide et très moche. À ne toutefois pas mettre entre toutes les mains, compte tenu de certaines images à fort taux de glauquitude...
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 5/12/2009 nooSFere