Léo HENRY Première parution : Paris, France : éditions Rivages, 1er février 2023
RIVAGES
(Paris, France) Date de parution : 1er février 2023 Dépôt légal : décembre 2022, Achevé d'imprimer : décembre 2022 Première édition Roman, 208 pages, catégorie / prix : 19,50 € ISBN : 978-2-7436-5839-7 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Hors Genre
Quatrième de couverture
Héctor Germán Oesterheld, scénariste culte de la bande-dessinée de science-fiction argentine, fut aussi, avec ses quatre filles, un des fameux « disparus » de la dictature militaire de Videla.
Léo Henry le place au centre de son échiquier romanesque comme une pièce à la fois absente et omniprésente d’un jeu infini où la réalité et la fiction sont indémêlables, promenant son profil ombrageux entre les ruines de la ville imaginaire d’Aquilea et les galeries introuvables de la bibliothèque nationale de Buenos Aires.
Fil rouge d’un récit que traversent les ombres de Borges ou de Hugo Pratt, sa figure énigmatique plonge le lecteur dans une Argentine méconnue, aussi fascinante qu’étrange.
Léo Henry est l'auteur de nombreux romans (Le Casse du continuum, Cosmique fric-frac, La Panse), de nouvelles (Les trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais, Grand Prix de l'Imaginaire 2010) et de scénarios de bande dessinée.
Critiques
Héctor Germán Oesterheld. Une légende dans le monde de la BD. Pourtant, paradoxalement, même si Oesterheld est à l’origine d’une œuvre gigantesque, même s’il a travaillé avec le grand Hugo Pratt, son nom demeure inconnu pour une grande part des lecteurs européens. Or, il a écrit, entre autres, une série de SF mémorable, « L’Éternaute». On y suit la résistance des humains contre l’envahisseur alien dans une Buenos Aires recouverte d’une neige mortelle. Beaucoup y ont vu un symbole de la lutte contre la dictature qui montait alors et allait corseter l’Argentine, le pays du scénariste. D’ailleurs, comme il a fait partie des résistants à ce pouvoir injuste et meurtrier, Héctor Germán Oesterheld sera l’une des nombreuses victimes du gouvernement tyrannique de Videla.
Léo Henry, amoureux de cette région du monde, et de ce pays en particulier, s’empare de cette figure de la littérature sud-américaine et la place au centre d’un récit dont la structure tend vers le labyrinthe borgèsien. Borgès, qui fait d’ailleurs de nombreuses apparitions dans ce texte (dès les premières pages, en fait), lui qui tint un rôle si important dans son pays – important et ambigu face au pouvoir meurtrier. Le roman, après une rapide présentation du cadre, commence comme un journal de voyage : l’auteur se rend en Argentine sur les traces du disparu. Et cela pourrait se transformer en hommage plus ou moins vibrant à la gloire d’un artiste méconnu en France malgré son importance capitale. À ceci près que rapidement, la structure évolue et, comme dans un jeu de miroirs (le titre du chapitre zéro prévient bien le lecteur), le point de vue change, les certitudes s’envolent et se mêlent aux rêves, aux autres réalités. On est tantôt sur les pas de Léo Henry, tantôt dans ceux de Juan Salvo, le héros de « L’Éternaute», tantôt dans ceux de la famille d’Héctor Germán Oesterheld (dont les filles sont entrées en résistance et l’ont payé de leur vie). Léo Henry tisse un récit complexe et néanmoins limpide où l’on suit son voyage fait de rencontres dans le pays. Où l’on en apprend davantage sur le passé terrible de cette Argentine fantasmée, à travers les quelques traces laissées dans les villes, comme d’anciennes salles de torture recyclées et effacées de la mémoire commune. Où l’on vit dans le monde de l’Éternaute, paysage recouvert d’une neige toxique qui se confond avec l’Argentine de la dictature et où survivre est une gageure. Où, enfin, l’on découvre les possibles derniers moments de la vie d’un scénariste de talent confronté à l’horreur.
Comme le dit son auteur lui-même, Héctor est un « bouquin aux lisières, qui questionne la SF et ces récits que l’on se raconte ». Un roman surprenant et évident à la fois, source de découvertes et de questionnements. En attendant La Géante et le Naufrageur, premier volume de la saga « Mille saisons» à paraître au Bélial’ en juin, aucune excuse ne sera acceptée pour ne pas se plonger dans cet hommage réussi, cette œuvre aussi belle que nécessaire.
Scénariste de BD argentin, Héctor Germán Oesterheld est notamment connu pour l’Éternaute, le récit d'une chute de neige mortelle sur Buenos Aires dissimulant une invasion extra-terrestre. Un homme, Juan Salvo, va survivre à cette attaque avec sa famille et, avec l'aide d'autres rescapés, organiser la résistance. C’est en Argentine, sur les traces de ce scénariste, que se rend Léo Henry en 2020.
Oesterheld n’est pas seulement un scénariste : sa vie se fond dans l’histoire tragique de son pays. Si la première version de l’Éternaute dessinée par Francisco Solano López parait entre 1957 et 1959 dans une Argentine instable retournant plus ou moins à la démocratie après un coup d’état, la deuxième version dessinée par Alberto Breccia arrive en 1976 alors que la dictature militaire du général videla s’est imposée. Oesterheld, ses quatre filles, membres du mouvement d’opposition péroniste Montoneros, et la quasi-totalité de leur famille vont, comme des milliers d’autres argentins, être victime de la politique d’élimination systématique de l’opposition menée par les militaires. Seul le corps d’une des filles sera retrouvé, tous les autres seront considérés disparus, desaparecidos.
Héctor n’est pas un livre comme les autres : à mi-chemin entre le journal de voyage et le roman, entre la biographie d’un personnage important de la culture populaire et le récit des exactions d’une des pires dictatures d’Amérique du sud de la deuxième moitié du 20e siècle, c’est avant tout un livre très personnel. Alternant les chapitres où il se met en scène dans l’Argentine actuelle sur les traces du scénariste, ceux avec Héctor, d’abord dans sa vie de famille et sa rencontre avec Borges, puis sous la dictature, et ceux où il fait vivre l’éternaute, le faisant rencontrer son créateur, Léo Henry mélange la réalité et la fiction pour nous faire sentir la chape de plomb qui est tombée sur le pays et dont l’Argentine actuelle ne s’est toujours pas entièrement débarrassée.
L’auteur n’y va pas par quatre chemins : les lieux de détention et de torture, les pratiques des victimaires au pouvoir (victimaires, comme les appelle Léo Henry, formés par des militaires français aux techniques développées pendant la guerre d’Algérie), le sort réservé à Oesterheld et à ses quatre filles, tout cela nous est décrit clairement et sans filtre au cours de pages aussi nécessaires que dures. De même, les chapitres consacrés à l’éternaute apparaissent clairement comme un décalque de la vie réelle, les envahisseurs extra-terrestres, surnommés les Eux, imposant eux aussi un régime de surveillance et de terreur.
Biographie parcellaire et reconstituée d’un auteur de science-fiction populaire, rappel historique d’une dictature aidée discrètement par la France et dont on se souvient plus de la coupe du monde de football ou du ratage de l'invasion des îles Malouines que du nombre étourdissant de victimes civiles, Héctor, au-delà d’un exercice brillant, est un ouvrage nécessaire, un rappel précieux que l’art ne peut pas être neutre face à un pouvoir autoritaire ou dictatorial et que la mémoire doit être ravivée pour ne pas oublier.