néoAddix, le premier ouvrage de Jon Courtenay Grimwood, a divisé la critique lors de sa sortie en France. Il fut qualifié ici de « régal » et de « roman qui fera date » (in
Galaxies n°28), ailleurs de « foutoir sans nom ». Pour ma part, j'en avais apprécié le style percutant et l'imagerie dynamique, tout en regrettant que ces qualités ne servent qu'une aventure feuilletonesque un peu confuse et en fin de compte assez banale.
Bien que l'intrigue du
Dragon de Lucifer soit indépendante de celle de
néoAddix, elle se situe dans le même univers, c'est-à-dire sur une Terre future uchronique où la France subit un troisième empire napoléonien. Grimwood nous invite cette fois à découvrir la Nouvelle Venise, une sorte d'île artificielle située en plein Pacifique, réplique fidèle de la vénérable cité italienne. Son maître est un jeune doge de onze ans, qui a pour garde du corps une dénommée Razz, terrifiante mercenaire au corps modifié, véritable machine à tuer. Un jour, Razz est assassinée et son clone se réveille à Zurich — hélas privé de ses dernières améliorations et notamment de la peau argentée dont elle était si fière. Qui lui a joué ce mauvais tour ?
Pendant ce temps, une certaine Karo Di Orchi s'échappe du Palazzo Ducale et se rend dans les Bas-fonds pour jouer au « Dragon de Lucifer », un super-jeu vidéo en 3D, quasiment invincible car évolutif et capable d'apprentissage...
Une fois encore, on est de prime abord séduit par la narration nerveuse et le rythme frénétique, par la puissance de certaines images de ce cocktail baroque où fusionnent les ambiances
cyberpunk et
steampunk, par l'atmosphère électrique de ce thriller où violence et sexe sont mis en scène avec un certain brio — ce qui conduit l'éditeur à évoquer l'influence de Tarantino en plus de celle de
Gibson. Pourtant, au fil des chapitres, ce survoltage de surface ne suffit plus à masquer le caractère poussif du récit principal : le parcours de Razz finit par sembler paradoxalement longuet sous ses faux-airs d'ultra-rapidité. L'intrigue s'embrouille, manque de cohérence, accumule les clichés, pour se résoudre dans un dénouement expédié et peu satisfaisant.
En fait, le sujet le plus attrayant est une histoire annexe, celle de la fondation de la Nouvelle Venise, rêvée par une pécheresse nommée Passion puis Santa Passionata. Si les chapitres qui lui sont consacrés s'articulent assez mal avec le reste du roman, c'est en leur sein que le récit trouve un équilibre et stimule vraiment l'intérêt du lecteur.
Reste un thriller somme toute distrayant, dopé par une violence esthétisante. Néanmoins, on demeure convaincu que Grimwood pourrait faire bien mieux si ses intrigues étaient plus rigoureuses et son propos plus ambitieux.