Surprise ! Un roman de fantasy irlandais pour jeunes, un presque-classique anglo-saxon de la décennie 80, qui voit enfin le jour en France, à l'improviste, chez un petit éditeur général.
Pidge est un jeune garçon comme un autre, poli et astucieux, vivant aux abords d'une petite ville d'Irlande. Sa petite sœur, Brigit, est elle beaucoup moins « comme les autres ». Cinq ans, mais pas sa langue dans sa poche, dégourdie comme pas deux, avec un sens de la répartie à vous clouer au sol ! Tout débute avec l'ouverture d'un nouveau bouquiniste : Pidge y dégotte un vieux livre tout abîmé, écrit dans un style vieillot, mais qui sans qu'il sache trop bien pourquoi le fascine. Et le bouquiniste, ou plutôt son assistant, drôle de bonhomme, qui lui en fait cadeau ! Tout est pour le mieux ? Pas exactement. Un curieux petit bonhomme interpelle Pidge alors qu'il rentrait chez lui, et le met en garde contre les dangers qui l'attendent : un panneau de travaux, et une déviation absurde. Sans parler d'un orage. Un vraiment très gros orage !
Deux bonnes femmes louches se sont installées pas loin de chez ses parents, dans une serre qu'elles louent. Elles circulent en moto à travers la campagne, habillées n'importe comment et accompagnées de deux molosses. Et elles ne semblent pas étrangères à tout ces événements bizarres. Quant au livre, il recèle entre ses pages une simple feuille, difficile à lire, les caractères et le dessins semblent toujours fuir — et même littéralement : la feuille s'envole sans le moindre vent, semble vouloir quitter les mains de Pidge à tout prix. A moins qu'elle ne soit enfermée dans du fer, lui souffle un rêve...
C'est rien de moins qu'une page de la mythologie celtique qu'a entreprit de réécrire Pat O'Shea, dans un cadre moderne : le retour de la Morrigan et de ses sorcières, la Reine des fantômes et le Corbeau ardent, qui veulent tenter une nouvelle fois de libérer le serpent Olc Glas pour semer la folie et la destruction sur notre monde de pauvres mortels...
Le texte de quatrième de couverture de l'édition française en appelle à des comparaisons avec
Le seigneur des anneaux et
L'histoire sans fin, ce serait plutôt, pour ma part, avec la seconde que je vois de nets rapprochements à faire. Car
Les Chiens de la Morrigan a toute la gentille fantaisie et l'humour du chef-d'œuvre de
Michael Ende, et rien du grave hiératisme de
J.R.R. Tolkien. Les deux sorcières chevauchent une Harley-Davidson, leurs chiens sont de loufoques incompétents, leurs ruses sont fréquemment dérisoires et toujours d'une noirceur humoristique... Quant à Brigit, c'est un personnage pour le moins peu réaliste, mais particulièrement attachant ! Pour continuer avec les comparaisons, il y en aurait de possibles avec certains tomes de la série
The Dark is Rising de
Susan Cooper (remember
L'enfant contre la nuit, chez
Laffont «
L'âge des étoiles », il y a bien longtemps...) — avec, toujours, l'humour en plus.... (ah, la grenouille-chien de garde et sa... « logique », les canards, le bonhomme en tôle !).
Les Chiens de la Morrigan appartient à cette catégorie des très rares romans qui sont parvenus à sortir du « ghetto » de la littérature jeunesse pour se hisser tout simplement dans la littérature — dans les mêmes années, ç'avait également été le cas du premier
Redwall de
Brian Jacques. Cependant, je me demande s'il est bien prudent de le faire paraître en France comme un roman pour adultes. Cela ne risque-t-il pas de lui faire manquer une bonne partie de son public ? D'autant que le volume est beau (une superbe maquette de couverture), mais cher, bien sûr. Bah, qu'importe, on épiloguerait vainement sur la question, reste seulement que ce sont les éditions A.M. Métailié qui ont eu envie de l'offrir au public francophone, et bien les a pris ! C'est un vrai plaisir que de découvrir chez nous un roman aussi original.
A quand la traduction de
The Once and Future King (de
T.H. White), messieurs ? Voilà un roman de la même eau qu'il serait urgent de traduire — qu'il aurait même été beaucoup plus urgent que de traduire le Pat O'Shea, d'ailleurs, mais l'édition n'a pas ces priorités-là...
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/12/1993 Yellow Submarine 106
Mise en ligne le : 3/3/2004