Ce roman au titre emblématique se présente sous une suggestive couverture de style surréaliste, qui vous met l’eau à la bouche. En fait, on découvre à la lecture que c’est du « factice pour étalage ». Dommage, mais il faut quand même complimenter le dessinateur Michel Siméon. Quant au livre lui-même, il se rattache à l’anticipation – mais non à la « science-fiction ». On y distingue plusieurs aspects. D’abord celui d’utopie pessimiste à la façon d’Huxley ou de George Orwell : peinture d’une société future mécanisée, déshumanisée, sous la tyrannie d’une dictature policière qui a tué la liberté individuelle et régit même les consciences. Ensuite, un côté d’aventures : détails de la lutte d’une organisation terroriste. Enfin, des touches d’érotisme très accentuées, qui nous rappellent que l’ouvrage est édité chez « Arcanes » et nous valent d’ailleurs ses meilleures pages ; sous ce rapport, l’auteur a usé de deux moyens : la relation des bizarres mœurs sexuelles, « mathématiquement » ordonnées, de sa société fictive, ainsi que l’évocation des « Prototypes Biologiques », monstres créés par des greffes de tissus humains et bâtis littéralement comme des créatures de Picasso, tout en étant bisexués, androgynes, etc. (là seulement, il y a du surréalisme).
Ces divers éléments offrent peu de cohésion entre eux et le roman souffre de ce disparate. À part cela, les descriptions de l’esclavage psychologique des citoyens sont attachantes et bien conçues dans le détail ; mais l’auteur a négligé de définir la nature exacte du régime, d’en montrer les meneurs, d’en expliquer l’origine et l’édification : d’où une certaine gratuité. Le récit de la révolte est moins réussi : l’action traîne, les personnages tiennent des discours inutiles et les péripéties sont statiques.
Le style, qui manque de pittoresque, n’échappe pas à une relative sécheresse, sauf quand le ton se teinte de sadisme ou de l’érotisme déjà cité. En définitive, ce livre déconcerte et ne déplaît pas, ennuie à certains moments, enchante à d’autres et laisse sur une impression mélangée, mais non désagréable. Malgré nos réserves, nous le placerons fort au-dessus de la S.-F. française courante par exemple. Il vaut d’être lu dans la mesure où il sort de l’ordinaire.
Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/2/1955 dans Fiction 15
Mise en ligne le : 17/3/2025