Les éditions du Cavalier Vert sont une « petite » maison spécialisée dans le « Futur Fiction Fantastique » depuis 1997. L'éditeur a cependant jugé utile d'insérer un avertissement en introduction : « Demain Paradis n'est pas vraiment de l'anticipation. [[]...] Demain Paradis n'est pas vraiment non plus un roman fantastique [[]...] Comment alors situer le cadre de ce récit ? Dans un futur fantastique ? ». Avertissement parfaitement justifié tant l'aspect science-fictif est imperceptible.

     L'intrigue est située dans un avenir indéfini mais à la technologie très proche de celle de notre époque. Chandor, le dictateur auto-proclamé voilà une quinzaine d'années, impose à La Ville son idéologie de l'humanité heureuse malgré elle. Il utilise pour cela les talents de Log, informaticien hors pair, chargé de créer un réseau informatique qui complètera l'endoctrinement de la population à l'heureusité. Des manipulations psychiques de masse, des écoles sous influence, une surveillance permanente des comportements, tout est calculé pour que l'heureusité soit appliquée et que la population vidée de sa mémoire et quasi lobotomisée psychologiquement soit soumise au bon vouloir du dictateur.

     Mais dès la prise de pouvoir de Chandor, un groupe de réfractaires s'est réfugié dans la campagne environnante, organisant la résistance au dictateur avec à leur tête Poca, l'ancien Maire de la Ville. Ils essaient d'attirer l'attention de la population par des messages subversifs diffusés illicitement sur le réseau informatique Panet créé par Log, ce qui leur vaudra l'adhésion de ce dernier à leur mouvement. Le combat pour la reconquête de la Ville commence alors, mais se heurte à Bennit, le chef de la sécurité et de l'armée de Chandor.

     Bien qu'il n'en soit pas à son coup d'essai (il a déjà publié plusieurs recueils de poésie), Yves Couraud livre ici son premier roman. L'aspect poétique y est d'ailleurs très présent, peut-être même trop. Il ne se trouve pas une page sans description bucolique, périphrase, métaphore et autres ornements typiques de ce genre. Cela finit par rendre le récit quelque peu mièvre et réduit d'autant la force de l'aventure et de l'action. Si le sujet traité est intéressant, la charpente souffre d'erreurs de jeunesse. Certes la science-fiction permet de réelles libertés, mais il n'en est pas moins vrai que ses univers se doivent d'être cohérents et justifiés, particulièrement dans le domaine de l'anticipation. La Ville décrite par l'auteur semble être une planète à elle toute seule. Il y a la Ville, la campagne environnante et absolument rien autour, apparemment. Tout l'endoctrinement des vingt millions d'habitants est mené en l'espace de douze ans et le réseau — très similaire à notre internet, dont il exploite une partie du nom originel, ArPanet — inventé et déployé en deux ans, ce qui, sans explication , est totalement irréaliste. D'importantes invraisemblances sautent aux yeux. Ainsi, les résistants disposent d'un vieil ordinateur muni d'un modem enfoui sous terre, capable de pénétrer le fameux réseau, alors que dans le même temps ils ne sont équipés que de groupes électrogènes bricolés et n'ont aucun moyen de communication. Un tremblement de terre très « deus ex machina » anéantit une armée de trois mille hommes, mais ne fait aucun blessé dans le groupe de résistants distant de quelques kilomètres à peine, et ne touche pas la Ville tout en creusant profondément le paysage au point de créer un nouveau lit de rivière.

     Tout cela n'empêchera pas les amateurs de poésie sur fond d'anticipation de passer un agréable moment à la lecture de ce court roman, que l'on pourrait somme toute classer dans une catégorie proche de la fable d'anticipation moderne. La trame, malheureusement trop standard, rend le récit assez banal. Mais n'oublions pas qu'il s'agit là du premier roman d'un auteur qui peut très bien réserver de belles surprises dans l'avenir.