Joëlle LOSFELD Dépôt légal : octobre 2005 Première édition Roman, 160 pages, catégorie / prix : 16,50 € ISBN : 2-07-078965-9 ✅ Genre : Imaginaire
Quatrième de couverture
« Nous nous présentâmes, French peuple partis sur les traces Marvyn Peake.
Et Dürer, le K-way dégoulinant par-dessus le bonnet, les lunettes embrumées fixées sur les yeux très bleus de la dame, se mit à parler.
Il expliqua ce que Mervyn Peake était pour nous, combien nous l'admirions, combien ses œuvres, ses dessins, ses récits s'étaient inscrits profond dans notre existence, combien il comptait, ce que nous lui devions et pourquoi nos K-way étaient en train de transformer enmare la place du chien, dans l'entrée impeccable de sa maison. »
Deux idiots du voyage, persuadés d'être en mission très spéciale, partent chercher dans la plus petite des îles Anglo-Normandes, Sercq, la mémoire perdue de Mervyn Peake (1911-1968), auteur-illustrateur anglais, héritier direct d'un Dickens sans espoir et d'une Charlotte Brontë que le fou rire aurait saisie, homme sous influence de cauchemars historiques (Londres sous le Blitz, le camp de Bergen-Belsen à sa libération) et personnels (une maladie de Parkinson précoce). Car sur cette île, seigneurie aux falaises noires, aux carrefours orthogonaux et aux pentes fleuries de cloches bleues, Mervyn Peake a vécu, et trouvé, peut-être, l'inspiration de la citadelle de sa trilogie romanesque, peuplée de personnages désopilants et pathétiques : Gormenghast, demeure de Lord Tombal, le seigneur mélancolique, et de Titus, l'héritier indocile, le héros inquiet.
Critiques
Beau cadeau que nous font les éditions Joëlle Losfeld, un carnet de route illustré consacré à Mervyn Peake. Etonnement, haussement de sourcils, stupeur pour les plus expansifs, mais vrai bonheur à l'arrivée, tant ce Tombal Cross, destination Mervyn Peake, fait plaisir à lire et nous redonne envie de replonger illico dans l'œuvre immense de Peake, œuvre injustement méconnue sous nos longitudes et dont on ne dira jamais assez de bien. Nous avons donc Nicole Caligaris à la plume et Albert Lemant au crayon HB, tous deux bien décidés à rendre hommage à Mervyn Peake de la plus originale des manières : faire un pèlerinage sur l'île de Sark, minuscule caillou à quelques encablures de Guernesey, qui eut pour illustre visiteur Victor Hugo (lors d'un mémorable pique nique et dont l'envergure fait de l'ombre à l'île en entachant chaque geste de démesure toute hugolienne) et, fait largement ignoré par les locaux comme par le reste du monde, Mervyn Peake himself qui y écrivit la majeure partie de Gormenghast, tout en y situant même un roman, Mr Pye, lui aussi disponible chez Joëlle Losfeld. Bref, l'île de Sark, rocher noir battu par les tempêtes, couronné de corbeaux et laminé par la pluie, voilà un décor sublime pour servir de genèse à l'une des créations les plus curieuses (mais des plus sublimes) de toute la littérature... Hélas, de romantisme il n'est que peu question, tant la petite île est un havre de paix et de beauté, peuplée çà et là de maisonnettes fleuries, d'indigènes adorables et de gazons soigneusement entretenus. Comment, dans un tel déluge de bonheur et d'organisation, trouver la trace de Mervyn Peake ? D'autant que les habitants sont à peine conscients de son existence. Commence alors, pour Nicole Caligaris et Albert Lemant, un voyage au bout de l'enfer de l'incompréhension. Et un amer constat d'échec. Rien ne subsiste de Mervyn Peake, pas même un banc (l'île fourmille de bancs sur lesquels sont gravés les noms de visiteurs célèbres). Seule son ombre se distingue parfois au gré d'une formation rocheuse moite d'embruns. Insaisissable, l'auteur de Titus d'Enfer ? Sans doute, mais c'est aussi ce qui fait son charme. Certes, Nicole Caligaris et Albert Lemant ne le trouvent pas, mais ils donnent envie de le lire, le relire et le chérir. C'est donc sans complexe qu'on les rassurera sur la réussite de leur voyage. Mission accomplie. Stop. Vous pouvez rentrer au bercail. Stop. Merci pour tout. Stop.
C'est à un bien étrange périple que nous convie Nicole Caligaris dans ce carnet de voyage. Une excursion frappée du sceau du mystère, comme par exemple sur l'identité des voyageurs : Nicole Caligaris se dit accompagnée d'un dénommé Dürer — qui joue le rôle d'intendant — mais le livre est signé par elle et Albert Lémant, dont les dessins très évocateurs qui émaillent le récit font écho aux envolées poétiques et lyriques de l'auteur. Mystère aussi dans la préparation de cette aventure, où une Organisation obscure semble tour à tour les encourager et leur mettre des bâtons dans les roues. Mais ces mystères ne sont rien comparés à leur destination : l'île de Sark (ou Serk, ou Sercque, ou Serq, ou Sercq, c'est selon), où vécut à deux reprises l'écrivain Mervyn Peake.
Faisons ici une pause pour ceux de nos lecteurs qui ne connaîtraient pas Peake : avec Gormenghast, il a créé un lieu mythique, envoûtant, exubérant, de ceux qui vous marquent à jamais. Son influence s'est d'ailleurs fait sentir chez nombre d'auteurs de fantasy, au premier rang desquels Michael Moorcock, qui l'encense régulièrement, et dont certaines appréciations parsèment le carnet de Caligaris et Lémant. Mervyn Peake, qui dessinait également, a en outre peuplé son univers de créatures inoubliables, tels Lord Tombal et son héritier, Titus Groan, tiraillé entre sa fierté de noble et son désir d'échapper d'un Gormenghast étouffant. Si vous ne les avez pas lus, les trois romans formant le cycle (Titus d'Enfer, Gormenghast, Titus Errant, auxquels il faut ajouter une novella, Titus dans les ténèbres) sont à prescrire fortement.
Mais revenons à Serk, minuscule île anglo-normande d'à peine 5 km de long, où on aurait volontiers imaginé que Peake fût la gloire locale. Pourtant il n'en est rien : peu de monde connaît l'auteur, ils sont encore moins nombreux à l'avoir lu. Caligaris et Dürer seront donc obligés d'arpenter l'île de fond en comble, cherchant ici et là des preuves que la topographie de Serk servit à la création de Gormenghast. Se raccrochant à la moindre anecdote concernant Mervyn Peake, les deux idiots du village, comme ils se baptisent eux-mêmes, accompliront davantage une quête intérieure que de véritables recherches journalistiques. Avec l'impression permanente d'être à la lisière de deux mondes : le premier prenant la forme d'une petite île à l'esprit très british où la vie s'écoule tranquillement, le second truffé de zones inexplorées, souvent menaçantes, d'où on risque de voir à tout moment surgir des créatures grotesques tout droit surgies de l'esprit de Peake.
Déstabilisant, poétique, drôlatique, ce livre constitue donc un émouvant hommage à Mervyn Peake — écrivain injustement méconnu — dont il donne envie de relire les ouvrages sans plus tarder. Grâces en soient rendues à Nicole Caligaris et Albert Lémant.