Enfin paraît en France la première édition intégrale des 239 contes collectés par les frères Grimm, y compris les retranchés. Cette édition est indispensable à tous ceux qui aiment les livres.
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Les contes forment un genre presque inhumain. De nombreux animaux rêvent. Les rêves sont des suites orientées d'images. Plus tard, quand les langues apparurent chez les hommes, la narration linguistique les a sensiblement relayés. (...) C'est « ce qui n'est pas » qui s'invente dans le conte, comme dans le rêve, comme dans le désir. L'affamé voit tout à coup une table mise couverte de tout ce qu'il préfère. L'assoifé fonce vers un mirage d'eau qui brille au loin. L'homme frigorifié tire au-dessus de son corps qui tremble un édredon de plumes. L'homme solitaire imagine une femme merveilleuse. (...) Il y a au fond du conte, continuant de rêver, en état de rébellion à l'état pur, en état de splendeur à l'état pur, un jadis animal aussi intraitable que l'enfant incorrigible. (...)
Pascal Quignard, Le Monde des livres.
On connaît en France Blanche-Neige, Hänsel et Gretel et quelques autres, mais on en ignore la plupart, tout aussi bons que cette remarquable édition intégrale et annotée permettra de découvrir. (...)
Les contes des Grimm doivent leur magie à la souffrance qui les fixe et la liberté qui les porte. On est dans un monde où il ne fait pas bon vivre. Les gens ont faim ; les parents abandonnent leurs enfants ou les mangent : les pères désirent leurs filles ; les belles-mères (les marâtres) tuent la progéniture du premier lit ; les joueurs, les ivrognes, les vagabonds sont incurables ; les idiots le restent ; les innocents se font crever les yeux comme les coupables ; la nature est enchantée, hostile et trompeuse ; les princes et les châteaux ne valent guère mieux ; l'orgueil, la convoitise, la curiosité, l'envie, le mensonge sont partout — chez les enfants d'abord. Les puissants ont cette manie, comme Barbe-Bleue, de dire à ceux qu'ils aiment qu'il est une pièce où il est interdit d'entrer, tout en leur donnant la clé pour le faire.(...) La plupart des auteurs feraient de cet enfer des machines moralistes, des manuels édifiants, ou, pire encore, des romans psychologiques. Ici, rien de tel. L'imagination est l'action : elle va vite et à l'essentiel, comme une vie courte réduite à l'essentiel.
Philippe Lançon, Libération
Soit donc deux beaux volumes, copieusement annotés et soigneusement illustrés, où les célèbres Cendrillon, Hänsel et Gretel, Petit Chapereau rouge ou Blanche-Neige cohabitent avec des dizaines d'histoires bien moins célèbres, mais non moins poétiques, truculentes ou précieuses. Postface, notes copieuses, index précis : l'appareil critique est sans faille, mais jamais pesant — libre au lecteur de choisir de l'oublier ou d'en faire son miel. (...)
Nathalie Crom, Télérama