Beltig Konogan, personnage central de ce roman, est marin, aventurier et écrivain. Il habite une Bretagne qui nous paraît familière, et nous pourrions croire qu'il vit de nos jours puisqu'il dispose de tous les accessoires modernes.
Pourtant, dans cet univers probablement parallèle, la Bretagne n'est pas française mais appartient à l'Union des Provinces Celtes, tandis qu'ailleurs, dans le lointain Septentrion, on évoque une possible guerre entre les Marchands et le fameux Prince des Landes de Brume.
Les amis de Beltig sont aussi de drôles de personnages. Le Catalan Agusti Saillagouse-Espluga Santes Creus avoue être en mission pour le très sérieux Bureau des Affaires Elfiques, chargé d'une enquête sur de mystérieux enfants naufrageurs, possibles elfes dont il se prétendra ensuite le père ! Quant au Créole Appolonius Laventure, il arrive du bout du monde sous une tempête d'allure surnaturelle, poursuivi par une troupe de furieuses grands-mères anglaises : une malédiction les pousse à persécuter ceux qu'elles aiment, depuis qu'elles ont péri lors de la fameuse bataille de Trafalgar, à une époque où elles étaient encore de jeunes et belles espagnoles…
Il ne s'agit là que des quelques événements sur lesquels s'ouvre ce roman inventif et cocasse. Ils conduiront Beltig à entamer un voyage extraordinaire, particulièrement riche en péripéties parfois poétiques, souvent amusantes et toujours étonnantes. On y croisera des corneilles-espionnes, des druides-magiciens, des troms dépositaires des secrets de la nature ou encore, parmi d'autres, de curieux marins allant recueillir l'écume au cœur des plus formidables tempêtes afin d'en extraire une liqueur incomparable…
L'un des ancêtres de l'auteur aurait traduit Les voyages de Gulliver. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles Bertrand Carnebuse a choisi de pasticher les contes philosophiques du XVIIIème siècle, dans un style archaïsant approximatif où il mélange sans vergogne des phrases malicieusement alambiquées, des expressions modernes ou des dialogues bouffons. Ce style, qui accentue l'impression que les époques se téléscopent , garde heureusement une parfaite clarté, et il est donc aisé de se laisser emporter dans cette fantaisie où règne une douce folie.
Du conte, l'auteur ne garde toutefois que l'inventivité, la truculence et l'aventure, laissant à d'autres le soin de philosopher. La personnalité des protagonistes est assez vaguement définie : Beltig est avant tout — comme Gulliver — un témoin disponible et candide, prêt à se laisser aller sans résistance au gré du vent et de ces folles aventures, poussé par la simple curiosité autant que par le désir de venir en aide à ses amis.
Sans temps mort, ce court roman renferme ainsi nombre de surprises. Coup de cœur pour l'imaginaire débridé, pour la mer et l'aventure, pour l'amitié et la liberté : c'est un roman d'une stimulante fraîcheur et d'un sympathique dynamisme, qu'on lit avec un perpétuel sourire aux lèvres.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 1/5/2000 dans Faeries 1