L'Univers en pièce signe le premier volume des Chroniques Télématiques. Le roman s'ouvre sur un glossaire succinct, bien utile au début pour ceux qui ignorent tout du jargon informatique et qui pénétreront dans une lecture d'un abord difficile. Un peu comme dans Orange Mécanique, il faut avoir décrypté quelques pages avant de s'habituer à l'écriture et au vocabulaire spéciaux. Mais une fois le cap franchi et les premiers tâtonnements effectués, plus aucune embûche n'entrave la progression du lecteur qui se conforme vite à ce parler, bizarre, déroutant.
Dans une société super-informatisée — plus informatisée qu'elle, tu meurs ! — de nombreux problèmes de communication se posent. Paradoxal, non ? Chaque individu possédant son égordino et pouvant répondre à tout appel sans intervenir physiquement, vivant souvent sans jamais extraire son nez de son appartement — ce sont les capitonnés — , il est parfois compliqué de les joindre ou de les rencontrer chairos, comprenez en chair et en os. Même pour la police. Cette incommunicabilité chronique est le thème principal du roman. D'où un dérivé ; un homme mort depuis des mois peut continuer à vivre ou à faire croire en son éveil par le biais des machines qui médiatisent tous les événements de l'existence, qui vivent quelquefois au nom et en place de leur propriétaire.
Claude Ecken décrit un monde effrayant, un monde qui n'est pas aussi éloigné du nôtre qu'on pourrait le croire naïvement. Les capitonnés véritables existeront peut-être un jour, les agences matrimoniales et les réseaux de rencontre téléphonique ou minitelique en sont les premiers symptômes. L'auteur n'a sans doute pas cherché à donner des avertissements, c'est démodé.
Son livre n'en présente pas moins une vision d'un futur possible où l'informatique est devenue une déesse sans nom, adorée par tous à l'insu de tous. Davantage qu'une religion, un art dégénéré de vivre.
Éric SANVOISIN
Première parution : 1/5/1987 dans Fiction 386
Mise en ligne le : 28/4/2003