[critique commune des 3 romans :
« Le chant des abîmes » par X.B. Leprince : Alsatia ; « Police spatiale » par J. Pierroux et « Trafic interstellaire » par CL Vauzière : Marabout-Junior. ]
Une SF pour jeunes n'est pas facile à réaliser : elle demande d'abord un équilibre difficile entre la partie documentaire et scientifique, qui doit être correcte en tous points, ou du moins plausible, et le récit lui-même, attachant plein de mouvement et de vie. De plus il est souhaitable que l'élément scientifique soit un facteur déterminant de l'intrigue, et que les caractères ne se plient pas trop au manichéisme sommaire des romans d'aventures.
C'est ce qu'ont fort bien compris les auteurs anglo-saxons de « juvéniles » : Asimov, Heinlein, Wyndhan, etc. C'est ce que ne comprirent pas les auteurs dont nous allons parler.
« Le chant des abîmes » est de loin le meilleur des trois ouvrages. X.B. Leprince sait écrire et débute en coup de tonnerre ; mais à la page 43 seulement. Un interféromètre géant, braqué sur la nébuleuse d'Andromède, troue soudain la nuit de Sologne d'une plainte déchirante. Et, sur la foi du titre, nous attendons une vaste épopée, ou une œuvre poétique aux résonances profondes. Hélas par la suite, le récit traîne, mélange un zeste de sorcellerie paysanne et une idylle en coups de bec entre polytechnicien et demoiselle du château, et s'enlise dans le roman d'espionnage. En dépit d'une référence à O.S.S. 117, l'auteur n'a rien de la maîtrise de Jean Bruce, et la menace qui pèse sur Nagis ne rappelle en rien celle de « Panique à Wake ». Reste que l'auteur fait montre d'une information scientifique certaine, qu'il semble capable d'écrire de la vraie SF, qu'il nous en offre 20 pages, amples et saisissantes, sur un total de 293. Les autres ? Mon Dieu, elles paraissent sorties tout droit du « Musée des Familles » de 1875, ce qui est fâcheux pour un roman qui se veut d'actualité, sinon d'anticipation.
J. Pierroux, lui, possède le rythme, abonde en descriptions techniques, multiplie les coups de théâtre autour de ses pantins, ainsi que les massacres et les bagarres. Pour remuer, cela remue… Mais il écrit mal, et surtout écrit froidement des choses telles que « Température ambiante : entre moins 650° C et 685° C » (p. 58) ; apprenons-lui qu'il existe un zéro absolu fixé à moins 273 degrés ! L'action se situe (p.52) dans un autre système solaire à 2 milliards de milles de la Terre, soit moins de 4 milliards de kms, et Pluton gravite au-delà ! Mais voici le plus beau : en treize ans, de 1976 à 1989, les Terriens ont subjugué la Galaxie, à l'aide d'engins à propergols solides dont les plus rapides (p. 61) atteignent 60.000 milles à l'heure, soit environ 30 kms/sec ! Dans ces conditions, le simple voyage aller vers Alpha du Centaure demanderait 40.000 ans ! Ce sont de telles erreurs qui, même dans un ouvrage pour la jeunesse, accréditent l'idée que la SF est une sous-littérature. Et, quand on lit de telles choses, on se dit qu'on fut injuste envers Jimmy Guieu qui, du moins, recopie correctement les données scientifiques. Aussi préférera-t-on, si on a un petit cousin de douze ans, lui offrir le CL Vauzière, bien qu'il ne soit qu'un sous Jimmy Giueu.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/1/1962 dans Fiction 98
Mise en ligne le : 2/1/2025