Il y a dix ou douze ans, en assista à une floraison de films aux titres – alléchants dans le genre de La chair ardente ou Esclaves du désir, et dont le scénario présentait, par exemple, le héros en prison et l'héroïne au couvent pendant toute la durée de l'histoire. Le rapport entre le dernier titre du Rayon Fantastique et le récit qu'il recouvre est à peu près du même ordre.
Il y a bien, ici, une héroïne qui rêve, et il est bien question de feu dans ce rêve, mais d'une façon que l'on est presque tenté de trouver platonique. L'héroïne rêve qu'elle fait partie d'un jury chargé de décider si l'inventeur du feu est coupable ou non. L'inventeur en question est un pithécanthrope qui frotte des silex l'un contre l'autre avec la même bestialité qu'il met à s'épouiller. Le rêve, dont la substance est constituée par les dépositions des jurés, s'étend de la page 65 à la page 218 Inclusivement. Avant, l'héroïne est insatisfaite dans le Paris de 2014. Après, elle tente de « revenir à la nature » pendant qu'éclate une nouvelle guerre, et se fait tuer par deux gamins effrayés par l'apparence hirsute qu'elle a gagnée en retournant à la nature.
Sans doute serait-il facile d'établir un parallèle entre le sommeil de l'héroïne et celui qui gagne le lecteur, ou entre les étincelles que le néanderthal n'arrive pas à produire devant son tribunal, et celles qui font défaut au récit.
Au risque de revenir à un mot brûlant, force est de constater que c'est le feu sacré qui paraît manquer à l'auteur. Françoise d'Eaubonne possède un indéniable métier d'écrivain et une imagination qui, si elle ne se renouvelle guère d'un roman à l'autre, s'accompagne d'un appréciable pouvoir d'évocation. Elle donne l'impression de voir ce qu'elle décrit, et elle réussit à conférer une certaine ampleur à ses mouvements de foule. Mais elle ferait revivre de la même façon la retraite des Dix-Mille ou la foule du jeudi aux Galeries Lafayette : son métier a quelque chose de froidement mécanique, qui donne aux grandes lignes de ses descriptions une allure « passe-partout ».
Que son héroïne se sente insatisfaite devant l'efficience de la civilisation de 2014 n'a au fond rien d'étonnant, puisque le lecteur éprouve une insatisfaction analogue devant une autre efficience – celle de l'auteur. Et cela est dû au fait que ce monde du vingt-et-unième siècle a une allure artificielle ; le décor est riche, mais il sent le carton-pâte. Il eût mieux valu laisser le rideau baissé.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/2/1965 dans Fiction 135
Mise en ligne le : 21/9/2023