Critiques
MENUISERIE DES PLAISIRS SUBTILS Voilà un livre de SF. Il est à déconseiller à tous les amateurs de Richard Bessière, à tous les gens qui aiment lire des choses claires, simplistes, peu dérangeantes. A tous ceux qui aiment — et c'est leur droit — les aventures exotiques où l'on remplace les lions par les tréponèmes martiens, les « sales métèques » par des « sales Vénusiens ». C'est un ouvrage difficile, touffu, confus au premier abord comme la vie même, comme l'imagination en procès. Comme la machine textuelle quand elle s'emballe, enclenchant à l'aide de mots, de symboles, de références ou d'allusions, la menuiserie des plaisirs subtils. Construit à partir de journaux intimes, de rapports, de documents psychiques et de paradoxes logiques. Un ouvrage de marqueterie où le sens joue à cache-cache. Hybridation de Lewis Carroll, des poèmes de Poe, de l'imagination conjecturale chère à Versins. Un monde quotidien futur et merveilleux : avec de la passion, de la mémoire, des rêves, et... une histoire d'amour. La SF nous offre d'ailleurs parfois cela au détour d'une intrigue : ici l'intrigue s'inscrit dans les lacunes. Un futur possible saisi au ras du sol. Et dans la plénitude de certains espoirs. Flashes sur le futur d'une grande justesse, d'une acuité totale comme dans les grands livres de la SF. Hypothèses hallucinantes, avec ces cerveaux croisés-producteurs d'une angoisse sûre. Sur la jaquette, la photo du masque mortuaire de la mystérieuse « noyée de la Seine » qui enchanta la mélancolie du romantisme des années 30. Mais ici timbrée de Seattle (USA) en l'an 2028. Déjà un sas d'entrée à la mesure de l'univers qui s'engendre, dès les premières pages. Livre labyrinthe, miroirs fous où le lecteur, provoqué par ses propres fantasmes qu'il répugne à reconnaître, se livre à une lecture sans issue. Roger BOZZETTO Première parution : 1/4/1979 dans Fiction 300 Mise en ligne le : 1/3/2012
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