Il n'est pas nécessaire, je pense, de présenter longuement régis Messac. Les quelques romans de science-fiction sortis de sa plume (La Cité des asphyxiés, Valcrétin, Quinzinzinzili) sont considérés comme des classiques du genre. Sa mort en déportation priva la science-fiction française d'un de ses écrivains et théoriciens les plus lucides. N'était-il pas, avant guerre, l'un des très rares Français à connaître la science-fiction américaine des pulps ?
Que l'on ne s'attende cependant pas, avec Le Miroir flexible, à découvrir un chef-d'œuvre. Le lecteur qui, par extraordinaire, n'aurait jamais lu Régis Messac, devrait plutôt l'aborder par un des textes fondamentaux cités plus haut, car, d'un point de vue dramatique, Le Miroir flexible n'est pas une grande réussite.
Ce qui fait son intérêt, c'est d'abord sa thématique, et ensuite son côté « profession de foi » (si j'ose employer cette expression en parlant d'un texte de Messac !).
Le thème principal : la création d'un être mécanique autonome et doté d'une certaine intelligence.
Vous me direz qu'il n'y a là rien de bien neuf et que Messac est loin d'être le premier à parler des robots. Certes. Mais il le fait avec un souci de vraisemblance et un sérieux dans l'imagination qui laissent loin derrière la grande majorité de ses prédécesseurs. L'auteur va même jusqu'à reproduire un schéma de l'être mécanique créé par son infortuné héros, le professeur Favannens. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'un simple automate, mais d'un « être mécanique », baptisé « mécanozoaire ». Et le professeur insiste sur la part de « conscience » dont est pourvue sa création. mais attention, une conscience qui n'a, bien sûr, rien à voir avec l'âme, Dieu, ou autres fadaises du même genre : « J'avais voulu, déclare le savant, pour parfaire mon œuvre, lui laisser cette liberté, c'est à dire un certain jeu dans l'organisation de ses réfexes. » À travers cette dernière expression, toute empreinte de matérialisme, nous arrivons directement au deuxième pôle d'intérêt du Miroir flexible.
Messac profite en fait de ce texte pour se livrer à une série de règlements de compte avec l'intolérance, le fanatisme, l'ignorance et la religion. Autant dire qu'il se heurte à forte partie !
L'action se situe en effet dans une petite ville arriérée des États-Unis, placée sous la coupe du Ku-Klux-Klan et d'un pasteur illuminé. Ces personnages, aussi pitoyables que dangereux, provoqueront la perte du savant, qu'ils prennent plus ou moins pour un démon. On s'e doute, le triste représentant de la religion ne peut accepter qu'un simple humain puisse créer un être vivant, s'appropriant ainsi une prérogative divine. De son côté, Favannes ne lui ménage pas ses sarcasmes, reflétant ainsi les convictions matérialistes, mais aussi humanistes, de Régis Messac Un humanisme qui se teinte d'une forte dose de pessismisme, comme en témoigne la fin tragique du Miroir flexible, et de tous ses autres romans, d'ailleurs.
Sur ce point, Messac se distingue nettement de la plupart de ses confrères d'Outre-Atlantique, généralement plus optimistes (à son époque, et aujourd'hui encore) sur l'avenir de l'humanité.
Par contre, en ce qui concerne le matérialisme, je reprendrai ce qu'écrivait tout récemment S.T. Joshi, le grand spécialiste de Lovecraft, dans son essai The Weird Tales : « Je ne prétends pas que tous les écrivains de science-fiction sont des matérialistes ou même des empiristes, mais je soupçonne que la majorité d'entre eux le sont ». Une déclaration qui aurait, sans aucun doute, grandement réjoui Régis Messac.
Joseph ALTAIRAC
Critique déjà parue sur ce site
Parution sur nooSFere : 1/10/1990 Nous Les Martiens 18
Mise en ligne le : 21/6/2010