Un privé façon Bogart qui allonge un uppercut à un kangourou garde du corps qui vient de l'insulter. Un bébétête, dérangeant gamin qui a suivi une thérapie évolutive et vous tient le discours d'un homme de quarante ans. Un état totalitaire qui vous oblige à consommer de l'Oubliol, cette drogue amnésique qui vous fera même oublier que vous avez envie de vous plaindre... Voilà le climat aussi fabuleux que malsain dans lequel est plongé le premier roman de Jonathan Lethem, ce jeune auteur qui fait tant parler de lui outre-Atlantique.
Flingue sur fond musical, ou comment faire du neuf avec un peu de roman noir, un peu de fantastique, et une bonne dose de science-fiction. Tout en rendant hommage avec humour aux maîtres de chacun des trois genres, Chandler, Lewis Carroll et Philip K. Dick, gageons que Lethem est parvenu à ouvrir une nouvelle voie qui sera aussi suivie que celle ouverte il y a quelques années par le très british Terry Pratchett.
Flingue sur fond musical, c'est d'abord une histoire de style. Style de l'écriture, percutant, sans cesse référentiel et drôle. Style des personnages, plus cyniques et caricaturaux les uns que les autres. Le héros et narrateur, Conrad Metcalf, privé raté, brisé et à la traîne, ne brille que par son sens de la repartie, ses sarcasmes et sa fausse indifférence fataliste, et n'est en fait qu'en quête de la vérité : on découvre petit à petit que Metcalf n'est pas si antihéros que ça...
Mais surtout, Flingue sur fond musical, c'est une histoire picturale. Le roman est porté par un véritable sens de l'image, de la couleur et de la lumière. On est très vite transporté dans ce film original et déroutant, submergé par des tableaux qui dépeignent avec justesse et précision l'univers de l'auteur : fantastique, frais et intelligent.
Ce roman confirmera peut-être, comme le fit Les Racines du mal de Dantec, que l'avenir de la science-fiction est bien dans la fusion des genres. Si les éditeurs français laissent parfois passer des chefs-d'œuvre qui restent non traduits, applaudissons ici le choix de Jacques Sadoul qui s'est porté sur l'un des meilleurs romans américains de l'année.
Henri LŒVENBRUCK (site web)
Première parution : 1/12/1996 dans Galaxies 3
Mise en ligne le : 1/12/2001