Don DeLillo, l'un des plus grands écrivains américains actuels, auteur, entre autres, du monumental Outremonde (Actes Sud, 1999) et du très beckettien Body Art (Actes Sud, 2001), s'essayait en 1976 à la science-fiction avec son quatrième roman, L'Étoile de Ratner. Le résultat, entre Kafka et les Mémoires trouvés dans une baignoire de Stanislas Lem, est impressionnant. Comparés à L'Étoile de Ratner, la plupart des autres romans paraissent aussi fades que le mode d'emploi d'un lave-vaisselle...
Billy Twillig, adolescent à peine pubère, a reçu le prix Nobel de mathématiques — créé spécialement à son intention — pour ses études sur la « théorie zorgale ». Il est recruté par un groupe de scientifiques dans un centre de recherches hi-tech perdu dans le désert. Sa mission : mettre son génie au service du projet Logicon. En clair, décrypter un message venu de l'espace, qui semble obéir à un système mathématique particulier. Le jeune Billy, au milieu de ces savants extravagants, assiste à la lutte rhétorique entre les thuriféraires d'un monde absolument rationnel et les apôtres d'un univers dont le cerveau humain serait le centre nerveux. Tandis que Billy connaît ses premiers émois sexuels, la réalité s'effrite et le monde bascule sous le choc d'une découverte déconcertante. Quelle est l'origine de ce chaos apocalyptique ?
Soyons clairs, la très littéraire Étoile de Ratner ne s'adresse pas a priori aux amateurs de space opera. La densité de l'écriture et l'ésotérisme du propos en rendent en effet la lecture difficile, au point que même les inconditionnels de hard science pourraient en perdre leur latin. Certes les nombres, les chiffres, l'interprétation numérologique ou kabbalistique du monde, envahissent les pages comme autant de métastases proliférantes, mais l'enjeu est ailleurs, dans ce ballet grotesque et terrifiant d'egos surdimensionnés, dans cette plongée en apnée au cœur de la folie et des secrets de l'univers. Nous ne révélerons pas ici le fin mot de l'histoire, mais il n'est pas inutile de préciser que la résolution de l'énigme tient autant de la psychanalyse que de la science-fiction. Les dialogues des personnages — des scientifiques tous plus hallucinés les uns que les autres — sont complètement surréalistes, chacun évoluant dans sa bulle personnelle. C'est brillant, ardu, stimulant, hystérique et souvent très drôle, mais comme chez Kafka, la comédie tourne forcément au cauchemar. Détail amusant : L'Étoile de Ratner est l'un des romans préférés de Matt Groening, le créateur des Simpson...
Olivier NOËL
Première parution : 1/4/2003 dans Galaxies 28
Mise en ligne le : 1/9/2005