L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. La Dentelle du Cygne Dépôt légal : septembre 2018, Achevé d'imprimer : septembre 2018 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 3b ISBN : 978-2-84172-871-8 Format : 14,5 x 20,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Grande Guerre, 1914. Après un premier engagement désastreux, les Anglais décident l’opération Frankenstein : plutôt que de construire des chars, on créera de la chair à canon.
À partir des archives du fameux docteur et grâce à la production d’électricité à présent industrialisée, des unités de soldats pouvant être sacrifiés sans remords seront fabriquées – les champs de bataille du nord de la France fourniront la « matière première ». Winston Churchill est nommé responsable de l’unité de recherche sur la régénération.
Les « frankies » vont faire leurs preuves sur le terrain, mais la société se partage entre pro et anti. L’opération finalement interrompue, l’un d’eux, Victor, échappe au massacre puis est secouru par Marie Curie qui le rend à la vie consciente grâce aux radiations.
Réfugié dans les décombres de Londres, qui a été détruite et rendue inhabitable par un bombardement à l’arme chimique, Victor retrouve le laboratoire où il est né, y recueille Churchill et engage un combat pour l’émancipation des siens. C’est là qu’un jeune couple, elle, résistante à l’occupation, lui, historien, finit par le retrouver en 1958, dans l’espoir de lever le voile sur ce versant secret de l’Histoire que la censure en vigueur ne suffit pas à expliquer.
Johan Heliot entrecroise, tel un tisseur, des récits de Winston Churchill tirés de ses Mémoires secrets, les témoignages d’une Marie Curie désabusée par la folie des hommes, et le journal intime du personnage principal, Victor.
Se dessine alors, au fil de la lecture, un panorama fascinant des conséquences d’une Grande Guerre qui n’aurait pas pris fin en 1918, dont le cœur est un hommage à Mary Shelley et sa fameuse créature.
Critiques
Imaginons un instant que la Prusse l’ait emporté. Que l’Europe, en cette première moitié du xxe siècle, vive sous sa coupe sans pitié. Que Winston Churchill, l’une des figures héroïques de nos manuels scolaires, sauveur de la Grande-Bretagne, ait disparu dans les couloirs anonymes du temps. Que l’expérience du docteur Frankenstein, figure de papier inventée par Mary Shelley, mais savant de chair et de sang ici, dans cette réalité, ait servi de modèle pour tenter de créer une armée de guerriers sans peur, à la force terrifiante, capables de renverser un ennemi plus efficace et mieux armé… hypothèse qu’un journal trouvé dans les ruines de Londres semble étayer, le récit poignant du premier des nonnés, ces créatures censées servir les Britanniques en lutte contre les Prussiens — et inverser le cours de la guerre…
Avec Frankenstein1918, Johan Heliot revient une fois encore à ses vieilles amours, lui, l’ancien professeur d’histoire, pour bâtir une intrigue poignante dans un monde uchronique d’une grande richesse et d’un réalisme étonnant — l’une des forces indéniables du présent récit. Le roman est présenté comme le travail d’une chercheuse et de son époux, couple qui a découvert des textes précieux montrant une facette de l’histoire bien différente de celle proposée par les autorités. Les mémoires d’un certain Winston Churchill, d’abord, personnage oublié car sans intérêt historique. Où y on découvre le plan audacieux et quasi insensé de ce patriote, voix solitaire dans l’Angleterre rigide et constipée de l’époque, prêt à jouer avec les morts dans sa recherche d’une solution pour éviter les massacres à venir de ses compatriotes dans les tranchées. Il nous narre un épisode resté secret, car trop gênant pour le pouvoir. L’autre document capital exhumé est un fragment des mémoires de Victor, la première créature conçue par Churchill, le premier non-né : un amas de chairs cousues selon le procédé inventé par le docteur Frankenstein et amené à la vie par un savant dosage de chimie et d’électricité. Puis utilisé sans plus de vergogne que d’hésitation par son créateur afin de retourner le cours de l’histoire. Une opération qui, on l’apprend dès le début du récit, provoquera la destruction de Londres par une arme aux effets désastreux — un sort équivalent à nos Hiroshima et Nagasaki.
On l’a compris, l’ensemble du récit mélange habilement histoires et Histoire, avec pour brouet initial et es-sentiel le Frankensteinoule Prométhée moderne de Mary Shelley. L’alchimie fonctionne dès les premières pages : les solides connaissances historiques de l’auteur, son appétence pour l’exercice uchronique et ses talents de conteur font merveille. L’alternance des supports est une réussite : Heliot adapte son style au sage Victor, à l’impulsif Churchill et au courageux Edmond, et ce avec brio. Tout sauf une surprise, en somme, tant on le sait capable du meilleur (« LaTrilogiedela Lune »), mais aussi, parfois, du moins bon (le bancale Françatome). Avec Frankenstein 1918, il propose en tout cas un roman humain et fort. Son ancrage dans l’histoire, sa puissance d’évocation et, surtout, le personnage émouvant et sans mièvrerie de Victor font mouche. Un excellent moment, en somme, et sans doute même un peu plus, en ces temps troublés où les nationalismes et la haine de l’autre reprennent du poil de la bête. Une leçon à méditer, encore et encore…