Stanislas LEM Titre original : Glos pana, 1968 Première parution : Varsovie, Pologne : Czytelnik, 1968ISFDB Traduction de Anna POSNER Illustration de J. J. BOYER
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 211 Dépôt légal : 2ème trimestre 1976, Achevé d'imprimer : 5 avril 1976 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 10,8 x 17,9 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Le gouvernement américain est inquiet :
un charlatan a enregistré
un message interplanétaire et l'a diffusé
à grand fracas dans le pays.
Le document récupéré, un centre de recherche
est mis sur pied, groupant trois mille savants
espionnés jour et nuit, afin de créer
un monstre "colloïdal" permettant de communiquer
avec la mystérieuse étoile.
Mais la gageure est difficile.
Et les savants vont-ils la tenir
sans prendre le risque d'un danger mortel ?
Né en 1921 à Lwow, en Pologne,
Stanislas Lem est l'un des maîtres
de la science-fiction contemporaine.
Médecin de formation, passionné de philosophie,
de cybernétique, de physique et de biologie,
il s'intéresse au rôle de l'homme
dans l'univers et à ses communications avec lui.
Critiques
Comme il le déclare en ouverture, à la manière modeste d’un Isaac Asimov, Stanislas Lem expérimente avec La Voix du maître une forme d’hybridation de la littérature et de la philosophie, sorte de philosophiefiction mâtinée d’une bonne dose de science et d’épistémologie. Le présent roman est en effet le genre de récit qu’il ne convient pas de lire d’un œil distrait tant les digressions abondent, déclinant moult réflexions stimulantes et concepts vertigineux. D’aucuns resteront sans doute désemparés devant la profusion et la densité des idées déployées comme une arborescence touffue ne se laissant pas conquérir sans quelques efforts. LaVoix du maître dénote surtout de la volonté de son auteur à faire sens en épuisant toutes les hypothèses afin de traiter le plus rationnellement possible de son sujet. Et s’il use de la boîte à outils de la science-fiction, c’est en la dépouillant de ses ornements les plus clinquants, les plus ostentatoires selon son goût, préférant les idées aux images, l’analyse minutieuse à la narration débridée, la raison à l’émotion.
Adoptant le registre du monologue autobiographique, La Voix du maître traite d’un lieu commun de la SF : le premier contact avec une forme d’intelligence extraterrestre. Celui-ci est ici à sens unique puisque transmis sous la forme d’un message capté via un flux de neutrinos. Information ou simple bruit intergalactique, message destiné à l’humanité afin de tester son intelligence ou bribe d’une transmission perdue dans l’éther, le mystère ne résiste pas aux interrogations d’un Stanislas Lem très inspiré, toujours aussi pessimiste quant à la faculté humaine à s’autodétruire, guerre froide oblige, mais surtout très intéressé par la démarche scientifique, la philosophie et la métaphysique. En conséquence, la tension dramatique est intellectuelle, les cliffhangers étant remplacés par de longues digressions consacrées au rôle de la science, à son détournement dans un but de domination et aux conflits entre scientifiques, véritables guerres picrocholines aux buts absurdes. Bref, l’optimisme ne guide pas un auteur navré de constater que nos connaissances se réduisent à des croyances fragiles entre les mains de décideurs avides de pouvoir, mais qui ne renonce pas pour autant au sarcasme et à la critique. Le choix de l’intelligence.
Incontestablement ambitieux et dense, La Voix du maître ravira sans doute les amateurs de H.G. Wells ou d’Olaf Stapledon par l’ampleur des spéculations et thématiques, elles-mêmes très appréciées des lecteurs de science-fiction, en dépit des réserves de l’auteur pour le genre.
Trois mille techniciens et scientifiques sont enfermés pendant deux ans dans un polygone réservé autrefois à l'étude des expériences nucléaires, pour tenter de déchiffrer un message porté par un flux neutrinique et venant des étoiles : c'est le projet Master's Voice. Le « roman » de Lem est la relation, par un des chercheurs, le professeur Hogarth, des espoirs, déceptions, craintes, tensions qu'entraîne cette patiente étude, faite sous la surveillance étroite des politiciens et des militaires. Roman entre guillemets car, comme le note Hogarth, « je n'écris pas une histoire à sensation, mais je raconte de quelle façon notre culture a été mise à l'épreuve d'une universalité cosmique... » Il en résulte un texte touffu, cousu de digressions philosophiques, scientifiques, métaphysiques, politiques, qui alimentent le récit et lui donnent à la fois du corps, du bouquet, de la sève. Loin de la veine drolatique de ses romans récents, Lem, dans ce livre écrit en 1967, tourne et retourne sur le gril toutes les idées qui forment la substance disparate de l'ensemble de son œuvre : quel est la place de l'homme dans l'univers ; l'homme peut-il comprendre, communiquer avec une forme de vie totalement étrangère (non, il ne peut pas) ; la science n'est-elle pas la complice impuissante des pulsions de destruction de l'humanité, et les scientifiques ne sont-ils pas les otages de ceux qui cherchent la puissance et non le bonheur de l'homme... (« Nous savons maintenant avec certitude que lorsque sur les planètes iront se promener les premiers messagers de le Terre, d'autres de ses fils ne rêveront pas de telles expéditions, mais d'un quignon de pain »).
Comme l'indique Lem dans sa préface, cet ouvrage est un « Hybride », une tentative de « repriser un trou » entre ses livres philosophiques et ses romans de SF. La voix du maître (qu'on peut en partie comparer à Solaris et à La variété Andromède, de Michael Chrichton) est en tout cas un fascinant exercice de haute voltige d'une intelligence exceptionnelle au travail ; et la gageure est d'avoir réussi à rendre constamment passionnant un récit dont le sujet est aussi mince et qui est volontairement aussi dépourvu d'action. Un chef-d'œuvre peut-être, et à coup sûr la clé de l'univers de Lem.