Deux explorations parallèles des prémisses d'une apocalypse parcellaire... Parallèles, et bien divergentes en même temps — tel que l'espace topologique d'une création littéraire peut le permettre. Pour Philippe Le Guillou, la fin du monde emprunte aux mythes, aux éléments : dans une ville imaginaire (et symbole de toutes les villes) placée en bord de l'Océan, des signes se multiplient (pluie de cendres, incendies), qui annoncent la fin des temps. Cette fin est vécue (quand elle n'est pas traquée) diversement par les personnages transparents hantant son livre, son univers : un écrivain à la poursuite de son Grand livre, un cinéaste voyant son film ultime fuir devant lui. Le symbolisme des matières primordiales à la Bachelard se double donc d'une quête de la création, elle-même insufflée de rencontres amoureuses (avec des pages assez superbes, qui rappellent le Calaferte de Septentrion : « vulve des séismes, chair aboyeuse et nue, le ventre ondule mousse, avaleuse lionne » (p. 118), jusque dans la jonction avec le scatologique : « Chute lourde d'une chiure longuette et feuilletée se lovant à peine tombée dans la gorge nickelée des tasses », p. 176), et traquée par la mort individuelle, métaphore du trépas collectif : le cinéaste a un cancer.
Plus qu'un roman, le livre est un long poème écartelé, aux fulgurances souvent superbes, parfois lassantes : l'auteur a du style, c'est vrai, il en fait, c'est vrai aussi, et s'en cache peu, d'où ses références éparses, au Rivage des Syrthes par exemple. Mais pour le lecteur de SF égaré en ces pages touffues, qu'évoquera ce genre de prose : « Gaspar fouillait le passé d'une ville, d'une guerre, d'un tumulus de sang et de feu, de cendres et de ruines où il semblait que, périodiquement et comme rituellement, l'humanité revenait dans un appétit de mutilation régénératrice » ? Ballard, bien sûr, peintre des paysages immobiles ou en passe d'immobilisation, à qui les ciselures de Le Guillou apportent un contrepoint, un contre-chant allusif.
Bourgeade au contraire ne fait pas de la dentelle, n'y va pas avec le dos de la cuillère : son apocalypse à lui, vécue en plein Paris dans les environs de la gare Saint-Lazare, c'est tout simplement la disparition des femmes, fantasmée par un dragueur entre deux âges dont le rendez-vous avec une veuve encore accorte tourne au vinaigre, parce que ladite veuve s'est fait accompagner, cette fois, par une copine obèse, envahissante, et qui entretient peut-être avec la maîtresse des relations homosexuelles. Au premier degré, ce pourrait être un déplaisant récit porno, plus machiste que véritablement hard, et qui traînerait dans ses évocations de drôles de relents : « De grandes armées se mettent en marche. Elles vont arracher les femmes de couleur aux peuples qui les détiennent indûment (...) et, au prix de massacres économes, laissant derrière elles des traînées de sang pareilles à des menstrues, ramènent aux Blancs tout ce qui porte seins et sexes de femme. » (p. 185/186).
Mais tout cela est de l'humour, au mieux les confessions-rêveries d'un pas tout à fait vieux beau farceur, à qui Bourgeade lui-même prête volontiers sa personne. L'écriture blanche et rapide, la succession vive des épisodes, la gouaille (voir tout le chapitre sur le billard, où le terme « queues » est bien entendu utilisée avec un constant sous-entendu), font oublier la facilité un peu désinvolte de l'ensemble. Deux livres-prétextes, où il fait bon flâner, oubliant pour une fois le réalisme omniprésent de toutes les productions récentes sur la guerre nucléaire...
Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/1/1985 dans Fiction 358
Mise en ligne le : 16/12/2008