Dans ce premier tome d'une nouvelle série parue aux éditions Milady, l'univers de La diseuse d'ombres propose un changement bienvenu pour les lecteurs assidus de bit-lit. Après la dernière vague de vampires, métamorphes et démons, les faes semblaient en voie de disparition. Heureusement pour nous, Sandy Williams lutte pour sauver les espèces menacées !
Sur fond de guerre civile dans le Royaume — pays des faes — , McKenzie, diseuse d'ombres, pratique une magie très recherchée. Cette humaine peut lire et cartographier les rémanences laissées par un fae au moment où il crée une fissure dans l'espace-temps pour se déplacer. Depuis dix ans maintenant, le roi l'utilise à son profit pour localiser et traquer les rebelles qui souhaitent renverser le trône. Quand ceux-ci l'enlèvent, la jeune femme découvre une autre vision du conflit, bien loin de ce qu'elle pensait être la vérité. Elle va alors devoir choisir son camp...
La plume de Sandy Williams est très agréable. Par son écriture fluide, l'auteur sait amener avec simplicité et sans pesanteur les informations essentielles à la compréhension du monde qu'elle a créé. Un seul reproche : la guerre n'est qu'une toile de fond pour les errements de l'héroïne et le scénario tourne presque exclusivement autour des choix de cette dernière. Cela n'enlève rien à l'excellence du récit, mais on regrette d'autant plus que Miss Williams n'exploite pas son univers au-delà du cadre nécessaire aux seules pérégrinations sentimentales de la demoiselle. Sa création possède pourtant l'ampleur nécessaire pour nous plonger dans un dépaysement total.
En revanche, l'action est au rendez-vous dès les premières pages. Elément déclencheur, l'enlèvement de McKenzie permet à la jeune femme de réfléchir sérieusement à son implication dans une guerre qui n'est pas la sienne et qui l'a obligée à mettre sa vie entre parenthèses pendant plusieurs années. Révélations et rebondissements jalonnent son parcours d'autant que chacun des deux camps cherche à la convaincre en utilisant des arguments plus ou moins musclés. Et la bataille s'avère plutôt serrée !
Partagée entre son amour sans espoir pour Kyol, le maître d'arme du roi, et ses sentiments ambigus pour Aren, un des meneurs de la rébellion, McKenzie a du mal à faire la part des choses. Ses interrogations, à la fois sur les causes du conflit et sur ses relations amoureuses, ont le mérite de la faire évoluer. C'est une grande force de ce récit. Après autant d'années au service du roi, la jeune femme souffre d'être à la fois prise pour une folle par sa famille, car les humains ne voient pas les habitants du Royaume, et méprisée par la Cour des faes en raison de son humanité. L'isolement de ce personnage le rend vulnérable et l'on appréhende parfaitement la prise de conscience de McKenzie sur la précarité de sa situation. Sa loyauté est certes empreinte de naïveté pour le lecteur aguerri aux arcanes du pouvoir et de la traîtrise, mais elle demeure touchante, et son raisonnement toujours très réaliste. Batailleuse et volontaire, elle lutte pour son indépendance avec beaucoup de panache. Une vraie guerrière même si elle ne manie aucune arme !
Le triangle amoureux s'affirme très réussi par la difficulté qu'aura le lecteur à prendre parti pour l'un ou l'autre des prétendants. Elle témoigne du talent avec lequel Miss Williams sait parfaitement brouiller les pistes. Jusqu'au bout McKenzie devra choisir sa voie dans la douleur d'autant que préférer un de ces hommes l'oblige à passer dans son camp. Pas sûr que son choix final plaise à tous les lecteurs, car les rivaux masculins possèdent tous les deux des qualités forts appréciables...
Enfin, élément assez rare en ce moment pour être relevé : l'auteur protège jusqu'au bout la vertu de McKenzie et on l'en remercie. Mieux vaut parfois une chasteté un peu aride pour les lecteurs en mal de galipettes que la surexposition charnelle actuellement pratiquée par certains. En effet, quand il serre la libido de son héroïne, l'auteur se voit contraint d'investir un minimum dans un scénario qui tient la route alors que l'inverse ne se vérifie pas toujours...
En conclusion, Sandy Williams nous propose une histoire de qualité où elle soigne particulièrement bien ses personnages. Si les prochains tomes tiennent toutes les promesses apportées par le premier, la série Sidhe ravira sans conteste les amateurs du genre.
Nathalie TELL
Première parution : 3/2/2013 nooSFere