« Dans un monde juste, Sheckley serait reconnu comme l'un des nouvellistes américains les plus importants du XX^e siècle. »
Christopher Priest, auteur du roman Le Prestige

Besoin d’une terraformation, d'une purification d'atmosphère, d'un assainissement d'écosphère ? Arnold et Gregor sont là pour résoudre les problèmes rencontrés par les nouveaux pionniers humains à travers la galaxie. Le premier est chimiste de formation, le second écologue. L'un est aussi extraverti et imprudent que l’autre est neurasthénique et précautionneux. Ensemble, ils ont fondé, avec plus de bonne volonté que de moyens, la société « AAA Les As de la Décontamination Planétaire ».

Esprit d'entreprise et caisses perpétuellement vides les poussent à accepter les missions les plus délicates, voire les plus impossibles. Rien ne saurait pourtant entamer l’ingéniosité et la débrouillardise des deux compères, qui devront redoubler de ruse et d'habileté pour se tirer de mésaventures dans lesquelles le cocasse le dispute au loufoque.

Robert Sheckley (1928-2005) est I'un des auteurs les plus importants de la science-fiction américaine.

Deux hommes dans les confins regroupe l’intégralité des aventures spatiales d’Arnold et Gregor, duo qui a vite conquis le cœur des fans du genre. Dans ce fix-up parfaitement réjouissant, réussi et jouissif, concentré d'humour et de fantaisie, Sheckley fustige la course à la réussite, fondement de la société américaine et des politiques ultra-libérales menées un peu partout dans le monde.

Le lecteur adolescent en a rêvé, le lecteur adulte est comblé. Il y a quarante ans, quand je lus « La Clef laxienne » dans Histoire à rebours (sans doute pas le premier texte de Sheckley que je lisais, et clairement pas le dernier), ce fut une révélation. Ce duo Arnold et Gregor, le premier plutôt spécialisé dans les affaires mais à l'enthousiasme un peu trop précipité, le deuxième davantage versé dans la technique et d'un naturel extrêmement prudent, fonctionnait à merveille dans cette nouvelle loufoque où une machine, sorte de corne d'abondance, dégorge sans fin et gratuitement une matière que nos deux lascars vont tenter de faire fructifier. Avant de se rendre compte que personne n'en veut et qu'elle leur reste sur les bras... oui, mais voilà : comment arrêter la machine, maintenant ? Le lecteur débutant en SF découvrait alors que l'absurde et la satire pouvaient aussi procurer des textes inoubliables, dont la drôlerie ne saurait cacher une certaine critique sociale (le libéralisme et la quête de la rentabilité, bien évidemment, sont ici brocardés), tout en procurant quelques moments de suspension d'incrédulité particulièrement jubilatoires, dans un condensé de ce que l'âge d'or de la SF pouvait offrir de meilleur. Quand le même lecteur découvrit au gré de ses lectures du Livre d'Or consacré à Sheckley, ou dans le recueil Pèlerinage à la Terre, qu'il existait d'autres nouvelles où les inénarrables Arnold et Gregor réapparaissaient, au gré de situations tout aussi inextricables et de textes toujours aussi vivifiants et ingénieux, c'est donc tout naturellement que lui vint l'espoir qu'un jour un éditeur proposerait un recueil rassemblant toutes les nouvelles de la société « AAA Les As de la Décontamination Planétaire » – le AAA n'ayant d'autre signification que de permettre d'être en premier dans l'annuaire, encore et toujours la dénonciation sarcastique du libéralisme qui perd tout sens commun. Il fallut donc quarante ans à ce lecteur pour voir son espoir exaucé, grâce aux éditions Argyll qui nous proposent avec ce Deux hommes dans les confins, dont le titre est aussi très référencé années 80, un deuxième recueil de Sheckley, ce qui n'est que justice tant ce nouvelliste talentueux avait été quelque peu oublié au XXIe siècle. Pour vous convaincre encore un peu plus de l'intérêt de ce livre, notez qu'il propose une préface du regretté Philippe Curval, ainsi qu'une interview surprenante, menée via machines à écrire, de l'auteur américain par l'auteur français, une postface de Leo Dhayer, qui a traduit les récits, et enfin quelques notes de Sheckley lui-même sur l'écriture. On espère qu'Argyll continuera dans son travail de redécouverte de l'auteur afin de continuer à combler l'auteur de ces lignes et, il l'espère, suffisamment d'amateurs de cette science-fiction du passé, mais toujours aussi actuelle.

Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 27/4/2024 nooSFere