« Une allégorie remarquale de la féminité et du premier amour ... [...] Les émois adolescents y sont montrés ainsi : une tension entre hanter et être hanté, tension dont seul un examen de soi complet et destructeur peut nous libérer. » The New York Times

Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d'une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s'éprend de Samson. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de la sœur du jeune homme. L'adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l'emmène loin de tout ce qu'elle a connu.

Ada et son père vivent dans une maison isolée, dans laquelle les gens des environs se rendent quand ils sont malades. Car Ada et son père soignent les corps, mais de manière peu conventionnelle : ils plongent leurs mains dans les organes, extirpent les maladies, et quand cela ne suffit pas, enterrent les malades quelques jours ou quelques semaines dans leur jardin dont la terre a des vertus étranges. Ada et son père ne sont pas vraiment humains ; ils viennent eux aussi de la terre et ont avec elle une relation particulière. Mais lorsqu’Ada rencontre un jeune homme, Samson, le fragile équilibre entre les deux créatures guérisseuses et le reste de l’humanité va se rompre.

Premier roman de l’autrice irlandaise Sue Rainford (un second Redder Days est paru en 2021 et un troisième est en cours d’écriture), Jusque dans la terre est un livre impressionnant aussi bien par ses thèmes que par son écriture. Centré sur cette relation étrange entre un père et sa fille, mais aussi sur cet amour impossible avec Samson, Ada est d’abord une victime. Effectuant ce travail de guérison sans plaisir (elle et son père le font car c’est leur fonction voire leur nature), elle ne sait pas non plus si Samson est sincère ou s’il la manipule, jusqu’au moment où elle décidera d’accomplir les gestes libérateurs (ou pas) de ces deux liaisons. Ces créatures (certainement le mot le plus juste pour désigner Ada et son père), réifications de la Terre guérisseuse, travailleurs immigrés en provenance du sous-sol, ont un rapport ambigu avec les humains, qui les craignent tout en ayant besoin d’eux pour se débarrasser des maladies. L’autrice coupe d’ailleurs régulièrement le récit principal d’Ada de courts points de vue d’humains, clients ou pas des créatures, montrant ainsi le malaise de cette relation.

Rainsford utilise de nombreux outils de l’horreur : avant tout ces quelques scènes de guérison, où le corps est manipulé comme un mécano ; mais aussi ces temporaires enterrements vivants ou une possession psychique. Evitant le gore, ces scènes impressionnantes (qui ne représentent qu’un faible volume du récit) dégagent une véritable poésie, montrant que l’autrice possède déjà une voix bien à elle, au risque de déranger une partie du lectorat.

Jusque dans la terre est un roman fort et puissant sur l’évolution d’une créature féminine aux prises avec son entourage et sa nature même. Ses ambiguïtés, ses niveaux de lecture, son utilisation de l’horreur ne plairont pas à tout le monde, mais c’est aussi dans ces traits que réside sa richesse, sa magie et son originalité.

René-Marc DOLHEN
Première parution : 25/9/2022 nooSFere