« Il a fallu centraliser tout le Savoir que les humains avaient acquis... et sacrifier ce qui n'était pas utile à leur survie. Nous avons fabriqué des robots et des machines qui servent notre espèce, des terminators qui gardent la frontière du monde vivant... Mais tout notre système, professeur Allégat, tout notre système repose sur la distinction nette et non ambiguë entre ceux qui survivent et ce qui sert. Entre l'humain et la matière. Comprenez-vous cela ? insiste le vieil homme.
— Parfaitement.
— Alors, vous comprenez aussi en quoi la découverte du docteur Fraudenstein nous met dans l'embarras. Que dire de cette chose, cet...
— E.H.A.
— Est-ce vivant ? Humain ? Va-t-il se reproduire ? Se cloner ?
— A ce stade de son développement, il n'en est pas encore question.
— Pourtant, nous avons le devoir, en tant que responsables de la Banque des connaissances, de prévoir ce qu'il va advenir de l'"artificialité humaine", comme vous l'appelez. »
Lorsque ce dialogue a lieu, il est déjà trop tard pour la communauté scientifique : l'Etre Humain Artificiel, créé par le docteur Fanny Fraudenstein dans le secret de son laboratoire en l'an 2026 sort définitivement de l'état de cobaye pour atteindre celui d'enfant.
Un enfant, ça n'attend pas que les conflits soient réglés, les alliances passées, les budgets votés, pour décider de s'accrocher à la vie de toutes ses forces. Ça s'empare de la plus petite parcelle de chaleur humaine, du moindre souffle de tendresse. Et, le moment venu, ça court très vite, très loin, très longtemps pour échapper à la Science.
Cathy Bernheim est née en 1946 à Saint-Raphaël (Var). Traductrice, notamment des biographies d'Angela Davis, Emma Goldman (avec Annette Lévy-Willard), Betty Friedan et George Lucas. Critique de cinéma pour Les Temps modernes, Libération sous le pseudonyme de Spitty Cat, et aujourd'hui Femme actuelle. Coauteur du Sexisme ordinaire (Seuil, 1978) et auteur de Perturbation, ma sœur (Seuil, 1983), elle publie ici son premier roman.