La bataille de Little Bighorn a été un traumatisme dans l'histoire de la conquête de l'Ouest. Gold Rush raconte l'esprit de revanche qui animait les colons et les Tuniques bleues, peu après l'événement. Il évoque aussi le déplacement des populations autochtones, leur mise au pas et la lente et insidieuse déchéance qui leur est infligée. Et, au creux de l'histoire connue, un événement fantastique qui dépasse la cruauté des hommes.
Comme la quatrième de couverture l'annonce, la novella se situe au croisement de l'Histoire et de l'horreur. De nombreux auteurs mêlent ainsi les genres, et l'Histoire en particulier a souvent partie liée avec la science-fiction, le fantastique ou la fantasy, tant elle permet de nourrir des mondes parallèles et a donné naissance à quantité de catégories de librairie : uchronie, steampunk, etc. De Keith Roberts, qui dans Pavane donne la victoire à l'Invincible Armada sur l'Angleterre, à Laurent Whale, qui mêle dans Les pilleurs d'âmes des épisodes connus de la flibusterie du XVIIème siècle à une science-fiction très futuriste, en passant par Les Lames du Cardinal de Pierre Pevel, l'Histoire et l'imaginaire vont de pair.
Qu'une œuvre se nourrisse ainsi aux mamelles de la fiction et de l'Histoire connue est donc courant, et le problème qui se pose est de parvenir à l'équilibre qui permettra l'osmose des différents genres exploités, et à chacun d'y trouver ce qu'il cherche. À ce jeu, il manque un petit quelque chose au texte de Sam Cornell pour convaincre tout à fait. La faute à une longue exposition des conflits et des peuples en présence qui étouffe l'aventure. Et puis à un narrateur souvent distant, derrière lequel l'auteur, sans se cacher beaucoup, défend une thèse à charge contre les Tuniques bleues et raconte par moments cet épisode fantastique sans beaucoup d'affects. Le langage est agréable et soutenu, mais globalement neutre, et s'accompagne de quelques notes de bas de page relatives au contexte historique ou au vocabulaire qui accentuent encore cette partie par trop didactique qui semble ne pas faire confiance à la culture ou à la curiosité du lecteur.
De fait, l'histoire rapportée par la nouvelle, longtemps mise en pause, démarre lentement lorsque le narrateur revient enfin au présent et donne l'impression de se précipiter sur la fin. Les dernières péripéties du récit ne sont pas une grande surprise pour qui a quelque expérience dans la littérature d'horreur, mais l'ambiance est palpable et les scènes proprement horrifiques sont plutôt réussies. Scènes que l'on qualifiera de lovecraftiennes, expression souvent galvaudée mais qui se justifie ici tant par les images qui en sont données que par la discrétion de celles-ci. Les descriptions de l'indicible, comme il est coutume de dire, sont simples, efficaces et sans effets tape-à-l'œil.
Gold Rush est donc une longue nouvelle guidée par une idée qui promet et offre un bon moment, mais s'éternise un peu trop sur le chemin. On louera Sam Cornell pour son choix d'un format ramassé, une forme peu prisée en France mais d'une longueur parfaitement adaptée à son propos, et pour son histoire bien écrite, avec une prose limpide et sans effets superfétatoires.
David SOULAYROL
Première parution : 25/7/2023 nooSFere