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Proletkult

WU MING

Titre original : Proletkult, 2018
Première parution : Turin, Italie : Giulio Einaudi, 2018   ISFDB
Traduction de Anne ECHENOZ

MÉTAILIÉ (Paris, France), coll. Bibliothèque italienne précédent dans la collection
Date de parution : 18 février 2022
Dépôt légal : février 2022, Achevé d'imprimer : décembre 2021
Première édition
Roman, 352 pages, catégorie / prix : 22 €
ISBN : 979-10-226-1175-6
Format : 14,0 x 21,5 cm
Genre : Science-Fiction

Design VPC ; photographie © Riccardo Falcinelli.


Quatrième de couverture

Moscou 1927. Oue les histoires se mêlent à la réalité au point de prendre vie, n’est-ce pas le rêve secret de tous les romanciers ? C’est ce qui arrive à Alexandre Bogdanov, écrivain de science-fiction mais aussi révolutionnaire, scientifique et philosophe.
Pendant les préparatifs des célébrations des dix ans de la révolution d’Octobre, à l’approche du règlement de comptes entre Staline et ses opposants, l’auteur du célèbre Étoile rouge reçoit la visite d’un personnage qui semble directement sorti des pages de son roman. C’est l’occasion de parcourir les étapes d’une existence au bord du gouffre, entre la création d’une culture pour le peuple, les insurrections, l’exil et la guerre, sur les traces du spectre d’un vieux camarade perdu de vue.
Une recherche qui va bouleverser complètement les convictions de toute une vie.

« Proletkult raconte l'histoire de ia révolution soviétique sans nostalgie mais en rappelant ce qui n’a pas fonctionné, ce qui a dévié, avec une lucidité rare. Ce qui est déjà remarquable, mais son écriture fusionne le roman historique, le fantastique et ia biographie. Le résultat est révolutionnaire et renversant. Et cela vous reste dans la tête. » Tatiana Larina

WU MING est un collectif réunissant quatre auteurs italiens de Bologne dont les romans collectifs ambitieux, best-sellers en Italie, ont été traduits dans de nombreuses langues.

Critiques

Dix ans après la révolution russe de 1917, Denni, une mystérieuse jeune fille, arrive à Moscou dans l’institut de recherche sur la transfusion sanguine créé par le docteur Alexandre Bogdanov, ancien dirigeant du parti bolchevique mis en minorité par Lénine, ancien économiste, revenu à la médecine pour échapper à la politique. Denni se présente comme la fille de Leonid Volok, un militant communiste formé par Bogdanov disparu depuis plusieurs années. Mais elle prétend aussi venir de Nacun, planète socialiste depuis des décennies qui veut aider la terre à passer au socialisme, planète que Bogdanov a justement décrite dans son célèbre roman de science-fiction, l’Etoile rouge

Voilà un roman particulièrement original. Brodé autour de la vie réelle d’Alexandre Bogdanov et de son roman l’Etoile rouge, il utilise la science-fiction pour nous décrire la montée du bolchevisme et le début de l’Union Soviétique jusqu’à sa dégénérescence autoritaire et bureaucratique. Centré sur ce personnage incroyable et oublié qu’est Bogdanov (je ne peux que vous conseiller d’aller lire sa biographie sur wikipedia), on y croise des acteurs de la révolution comme Lénine, Staline ou Alexandra Kollontaï, mais aussi les débats agitant ces personnes : le proletkult (la culture prolétarienne) était un mouvement initié par Bogdanov visant à créer une nouvelle culture spécifique au prolétariat pour que celui-ci ne soit plus influencé par la culture bourgeoise ; mouvement récusé par Lénine au bout de quelques années car considéré comme antimarxiste.

Wu ming (un collectif de cinq écrivains italiens qui écrivent tantôt ensemble, comme ici, tantôt en solo en ajoutant un numéro derrière le nom Wu Ming) décrit avec précision et distance ces personnage et ces débats ; laissant flotter l’ambiguïté sur la personnalité de Bogdanov, il ajoute une couche mystérieuse avec l’origine de Denni : vient-elle vraiment d’une autre planète et d’un autre temps ou affabule-t-elle ? S’inspire-t-elle du roman de Bogdanov, ou au contraire, celui-ci a-t-il utilisé ce que lui a dit le père de Denni pour créer ce livre ? A tout cela s’ajoute une écriture vive naviguant dans la révolution bolchévique, collant au plus près à la réalité, faisant du récit un véritable page-turner. Proletkult, c’est un peu « L’homme tombé du ciel », le roman de Walter Tevis, chez les soviets. Roman des illusions perdues, des vies contrariées, d’une idéologie pleine d’espérance qui sombre dans la réalité, Proletkult est aussi formidable et passionnant que pessimiste. Un grand roman.

 

René-Marc DOLHEN
Première parution : 28/4/2022 nooSFere


    « Pourquoi avons-nous échoué ? » Telle est la question lancinante qui taraude Alexandre Bogdanov en 1927, à l’occasion des préparatifs de la commémoration des dix ans de la Révolution d’octobre. Telle est l’interrogation qui le bouscule dans ses convictions profondes lorsqu’il y pense. Lui, le révolutionnaire, apôtre d’un socialisme intégral, médecin et philosophe marxiste, compagnon de route et d’exil de Lénine avant de rompre avec le père du bolchevisme, mais aussi écrivain de science-fiction, notamment du roman L’Étoile rouge racontant le voyage d’un Terrien sur Mars la socialiste. Lui, le théoricien du Proletkult, ce mouvement d’éducation populaire promouvant une culture littéraire et artistique authentiquement prolétarienne, l’inventeur de la tectologie, cette science universelle de l’organisation, anticipation prémonitoire de la cybernétique. La cinquantaine venue, il ne nourrit désormais plus guère l’espoir de changer le monde, d’impulser un sens plus collectif à l’existence humaine afin de contribuer à l’avènement d’un avenir plus enchanteur. Alors pourquoi cette jeune inconnue l’émeut-elle autant ? Fille d’un ancien compagnon perdu de vue pendant la Révolution et la guerre civile, elle prétend être sa fille naturelle, née de l’union avec une Martienne dont elle partage en partie le patrimoine génétique. Alors, fantasme ou réalité ? L’imagination ayant présidé à l’écriture de L’Étoile rouge et dont il tire l’inspiration des propos confus de cet ancien compagnon ne serait-elle pas seulement une chimère ? Même si son pragmatisme le pousse à douter, Bogdanov aimerait tant croire que l’utopie est toujours une option défendable. En dépit des anciens camarades devenus bureaucrates sans état d’âme, en dépit des arrestations de la Guépéou, en dépit du climat de terreur et des menaces de répression qui s’apprêtent à se déchaîner contre les opposants à Staline. Croire encore une fois que l’on peut tout changer, plier le réel aux rêves de rénovation politique, sociale et culturelle. Parce qu’une révolution ne suffit pas. Il en faut cent.

    Avec Proletkult, les auteurs du collectif Wu Ming renouent avec le procédé de L’Étoile du matin (cf. Bifrost n°76) où s’entremêlaient les destins de T. E. Lawrence, J.R.R. Tolkien, C. S. Lewis et Robert Graves sur fond de Première Guerre mondiale. À mi-chemin entre le roman historique et la science-fiction, Le Docteur Jivago et L’Homme tombé du ciel, ils dépeignent la société soviétique à la croisée des chemins, entre utopie et totalitarisme, s’attachant aux pas d’Alexandre Malinovski Bogdanov. Un franc-tireur, éternel marginal à l’intérieur de son propre parti, un philosophe convaincu du bien-fondé de ses théories, mais aussi un homme fragile, qui doute et aimerait croire que l’on peut amender l’esprit humain dans un sens plus collectif et fraternel. Le personnage nous touche à plus d’un titre, d’autant plus que l’histoire l’a cruellement touché, lui. Il a connu la clandestinité, traqué par la police du tsar, mais aussi l’horreur de la guerre auprès des combattants russes sur le front des lacs de Mazurie. Il a bataillé sans faiblir au sein du parti ouvrier social-démocrate pour défendre ses idées, avant d’être frappé par la trahison et l’exclusion. Poussé peu à peu dans les coulisses du pouvoir, il n’a pourtant jamais renoncé à ses théories, les appliquant en dernier recours dans le domaine des transfusions sanguines. Son histoire personnelle sert de fil directeur au récit de Proletkult. Mais le roman est aussi celui de sa quête pour retrouver un ancien camarade, donner ainsi substance au récit d’un hypothétique voyage interstellaire et à la possibilité de l’existence d’un paradis socialiste, ailleurs. Support d’un récit empreint d’une émotion pudique et d’un regard désabusé sur l’histoire, Proletkult est également une réflexion stimulante sur notre modèle politique, social et économique, illustrant une nouvelle fois le projet Wu Ming : opposer mille histoires pour faire face au récit officiel du/des pouvoirs.

    Proletkult est donc un roman historique passionnant et une fable faisant écho d’une manière décalée à la SF, du moins dans son acception utopique. On est ainsi constamment tiraillé entre la nostalgie et la tragédie, interpellé par cette question lancinante, la même qui ébranle les convictions des vieux militants du socialisme : pourquoi avons-nous échoué ?

Laurent LELEU
Première parution : 1/4/2022 dans Bifrost 106
Mise en ligne le : 10/3/2025

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