[notes de Marc Madouraud sur l'ouvrage]
Les heureux possesseurs d'un autre roman de René d'Anjou, à savoir Le Pardon d'outre-tombe, trouvent en effet une note en bas de la page 256 : «Dans Châtelaine et fermière, même éditeur, à 0f95, les étranges pouvoirs des rayons Y sont expliqués. Lire ce volume utile et attractif.»
Et pourtant, ledit ouvrage, co-signé par la Comtesse de Belfeuille et sous-titré "La Vie aux champs - Roman vécu - Conseils pratiques" ne laisse en rien présager qu'il contienne de la SF. Il s'agit de l'ahurissante combinaison entre d'une part un traité à la fois domestique, agricole et relevant d'autres domaines (cette partie ayant probablement été rédigée par la Comtesse), dispensant conseils, explications et même recettes de cuisine, et d'autre part un roman (ici d'Anjou a pris la plume) évoquant le "retour à la terre" d'une famille.
Mais il en fallait plus pour empêcher d'Anjou de truffer son texte, à différents endroits, de passages conjecturaux... d'un très lointain rapport avec le sujet du livre.
Ainsi, la fin du prologue comporte cette scène : le jeune René raconte l'histoire du Grand-Père Bouvreuil, lequel, en voulant prendre une photographie, avait vu le métal de son appareil se désagréger. «Il venait de subir l'action d'un rayon chimique désassimilateur. (...) Les grands courants magnétiques terrestres, qui vont d'un pôle à l'autre, avaient rencontré les vibrations colorées - ou incolores - d'autres courants, et il s'était produit un choc électrique, sans doute, capable de désagréger les molécules agglomérées du fer.» (p.23)
Une force qui, maîtrisée, utilisée contre des soldats ennemis, permettrait selon René de «produire artificiellement un rayon désassimilateur, et leurs fusils, leurs canons, tomberont en poussière entre leurs mains.» D'ailleurs, le grand-père «renouvela l'expérience, fit réduire en poudre des barres de fer en les plaçant dans des courants polaires, exposés aux rayons ultra-indigo, par une température de 40 degrés.» (p.24)
En fin de roman, dans le chapitre «La Découverte merveilleuse», René fait des recherches pour retrouver «la formule du rayon chimique désintégrateur, de ce rayon féérique qui pouvait désaimanter, détruire la cohésion des molécules, involuer l'aspect des choses, refaire atomes séparés, l'agglomération des atomes.» Dans le seul but d'enlever leur caractère meurtrier aux guerres. (p.285).
Par hasard, il découvre une caverne, où il exhume les notes de son aïeul : «voilà le secret des rayons Z !» (p.287)
Le problème dans l'air du temps à l'époque étant la démolition de la Tour Eiffel, René a une idée. «La Tour était en fer, par conséquent susceptible, dans son entier, d'être soumise à l'action désassimilatrice des rayons Z. La seule difficulté consistait dans la production, forte et régulière, de ces courants. Ceci n'était en somme qu'une affaire d'amplification, la construction de ces appareils électriques, la captation des courants vibratoires de désaimantation.» (p.293)
Après avoir conduit ses propres expériences, René va voir la célèbre Marie Curie qui s'enthousiasme pour sa découverte. En peu de temps, le jeune homme devient une célébrité et acquiert une vraie fortune en vendant ses brevets. (p.294)
En attendant d'appliquer son invention à la Tour Eiffel, René continue ensuite ses expériences «sur l'amplification du son, la captation de ses ondes et leur projection comme force destructrice.» Il se fait construire un laboratoire avec des matériaux insensibles aux rayons Z. A côté, «des cubes énormes de maçonnerie, sur lesquels le savant lançait les vibrations amplifiées du son, ce qui les faisait trembler de la base au faîte, flageoler et s'effondrer selon que la note donnée répondait ou non au son de leur diapason moléculaire.» (p.304-305)
Attendez, ce n'est pas tout ! J'ai parlé de la SF, reste le fantastique. A partir de la page 250, Marie, la soeur de René, explique à la propriétaire d'un château qu'elle a vu, dans la chambre d'une tour, une dame en train de filer, un chat assis près d'elle. Et elle apprend qu'il s'agit d'un fantôme, celui de la Fileuse, une ancêtre morte en 1840. Une note en bas de la page 251 suggère : «Sans doute un phénomène de psychométrie spontanée.» René y voit d'ailleurs une explication scientifique et, si la dame n'est plus visible dans la tour, c'est que «les courants réflecteurs ont été dérangés.»