Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
L'Histoire détournée

Jean MAZARIN


Illustration de Patrice LARUE

FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions (Paris, France), coll. Anticipation précédent dans la collection n° 1270 suivant dans la collection
Dépôt légal : janvier 1984
Première édition
Roman, 192 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : 2-265-02474-0
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture
     Ceci est le récit d'événements historiques qui n'auront jamais lieu.
     En 1945, Allemands et Japonais capitulaient sans condition. Le monde est devenu ce qu'il est.
     Et si l'inverse s'était produit ?... Alors que se passerait-il par exemple le 11 avril 1989 ?
Critiques
 
[ critique commune de La guerre des pieuvres par Vladimir Volkoff et L'Histoire détournée par Jean Mazarin note nooSFere]


     C'est la journée des romans mal appréciés, et mal appréciés à mon avis pour des raisons politiques. Prenez le Volkoff, par exemple. Bon, Volkoff est un raciste, un presque-fasciste, un aristocrate de l'école bottes-et-cravache (« Un chef n'abandonne pas ses troupes ; si elles doivent périr, il périt avec elles. Pour l'honneur », p. 181). Il a fait l'Algérie, et c'est l'Algérie qui transparaît en filigrane dans tout ce roman dans la continuité du Tire-bouchon du Bon Dieu et sans doute écrit à la même époque. On y exalte l'usage de la force et le maintien des populations autochtones dans l'ignorance, pour le bien de la métropole.
     Précisons : la planète Voda (« l'eau », en russe) est entièrement aquatique, peuplée uniquement ( ! — mais c'est une convention de la SF) de plancton et de « pieuvres » intelligentes, les Zifras, qui récoltent ce plancton pour le profit des humains, qui en nourrissent les habitants de leur empire interstellaire. (En d'autres termes, le pétrole du Sahara.) Ne cherchez pas la vraisemblance scientifique, Volkoff serait recalé au bac en physique, il a par exemple des notions très nébuleuses sur le principe d'Archimède, mais passons. Les braves pieuvres sont friandes d'information, information qui leur est fournie en paiement par les humains. Las, polluées par les conceptions de leurs conquérants, elles utilisent ces informations pour obtenir par la force toujours plus en échange de leur plancton !
     Les voici donc lancées dans un simulacre de baroud, contre une société humaine où toutes les races sont abondamment mélangées (ce qui n'empêche pas l'auteur de fournir méticuleusement l'origine de tous ses personnages ; soyons gracieux, il fera en fin de compte d'un Africain son héros). Sont flétris au passage les intellectuels décadents et inconscients qui méprisent la société qui les nourrit, et encouragent (en les sous-estimant par-devers eux) les révolutionnaires qui vont les mener à leur perte. Cela a été dit ailleurs, et mieux, mais ce n'est pas entièrement erroné, et comme le dit Volkoff, « Comme il arrive souvent, ce sont les imbéciles qui ont une vision juste des choses » : la maxime s'applique à lui-même...
     Outre les positions politiques résumées ci-dessus, le roman prend son intérêt dans le tournant surprenant que connaît l'intrigue au milieu du récit : le brillant jeune cosmonaute Alféo, qui avait toujours eu une peur maladive des pieuvres, en devient une entre les mains du savant Erniak, chargée de noyauter la révolution. Mauvais calcul : ce roman est celui d'un retournement, préfigurant les œuvres d'espionnage-actualité qui ont rendu ultérieurement son auteur célèbre. Comme Volkoff sait faire montre de subtilité à l'occasion, le livre ne se lit pas comme un pur tract ; c'est supportable, à la différence disons du « Lieutenant Kijé ».
     Phénomène inverse avec Jean Mazarin : Michel Jeury le couvre dans Le Monde d'éloges absolument dithyrambiques. On me permettra d'accorder moins de respect à Jeury-le-critique qu'à Jeury-l'écrivain : ce récit est à peine un honnête représentant de la collection « Anticipation », et ne brille ni par son style pseudo-documentaire ni par sa vraisemblance, malgré ses ambitions.
     Comment accepter sans ciller ce monde où la victoire des forces de l'Axe dans la Deuxième Guerre mondiale (idée dont l'originalité fait frémir) est acquise à la dernière minute, après la mort de Hitler, quand on sait à quel point l'Allemagne s'était décomposée à cette époque ? Il y a dans le livre une notion intéressante, celle d'un état séparé (la Bourgogne et Marches de l'Est) accordé aux SS pour qu'ils y poursuivent à l'écart leurs expériences racistes et mystiques, tandis que le Reich lui-même s'est considérablement ramolli. Tout le reste est assez fantaisiste, depuis l'organisation mondiale de la Résistance (dirigée par les Britanniques) jusqu'à ces deux aviateurs japonais qui font de brèves apparitions, puisque l'auteur a voulu s'essayer au style Lapierre et Collins du récit vu par divers témoins et acteurs d'événements (censément) historiques. Il y a là deux problèmes : le manque de maîtrise de ce style d'une part (et les notes de bas de page précisant les sources des témoignages rejoindront bien vite les « Authentique ! » de Jimmy Guieu dans les placards poussiéreux de la littérature), et la longueur d'un Fleuve Noir, peu propice à ce genre d'exercice (c'est trop court).
     Quand d'ailleurs on examine d'un peu plus près la situation décrite dans le livre, on se rend compte que tout, tant dans l'organisation du monde selon les plans nippo-allemands que dans les noms et les procédés employés par les personnages, renvoie à la période de la guerre plutôt qu'à un présent parallèle, comme si les quarante ans écoulés (le récit prend place en 1989) n'avaient apporté que les changements les plus minimes. C'est patent pour les scènes situées en France. L'argument selon lequel un régime nazi, stérilisant la vie intellectuelle, réduit nécessairement le progrès technique, a du poids, mais il n'est nulle part explicité (et ce dans un roman où pourtant on ne se prive pas de nous donner des leçons d'histoire). Je crois que Mazarin a surtout recyclé dans un cadre SF un roman de la guerre de 40, et bien évidemment, une phrase comme « Jawohl, Obserstgruppenführer Krukemberger », c'est pain bénit pour un auteur payé au nombre de signes.
     Finalement, notons que Mazarin, qui met en scène une révolte dans les camps où sont encore parqués les juifs (pas mal imaginés), en profite pour donner le mauvais rôle à des Noirs, et la place de sauveur à l'Irgoun, et au groupe Stern (p. 107), ces derniers étant les braves gens qui avaient choisi de combattre les Britanniques en pleine guerre contre les Nazis. Il est vrai que le Grand Mufti de Jérusalem était intervenu pour que des enfants juifs ne soient pas libérés des camps de concentration, mais Mazarin se laisse aveugler par sa haine des Arabes au point de transformer les Bédouins en bande de Papous. Tout cela suffit pour moi à gâcher irrémédiablement les quelques bons points de l'on pouvait accorder au livre.
 

Pascal J. THOMAS (lui écrire)
Première parution : 1/5/1984 dans Fiction 351
Mise en ligne le : 22/12/2008


     Pierre Versins fait remonter le thème à 1950, avec Si l'Allemagne avait vaincu, d'un certain Randolph Robban ; mais l'œuvre majeure qui reste à l'esprit est bien sûr Le maître du haut-château de Dick (1962), encore qu'il ne faille pas oublier, dans un style bien différent, le prenant roman de Len Deighton, SS-GB (1978). Au Fleuve même, il me semble bien avoir lu une variation due à Richard-Bessière, mais la plus récente en date était celle de Jimmy Guieu, La stase achronique (1976).
     Et voilà donc Mazarin qui, avec L'histoire détournée, se met lui aussi à nous raconter une version germanisée de l'Histoire. Celle-ci se passe en 1989 et, si les Nazis ont bien gagné la guerre de 45 (parce qu'ils ont employé les premiers l'arme atomique) et se partagent la plus grande partie du monde avec leurs alliés-concurrents les Japonais, nulle explication n'est avancée pour justifier cette uchronie, qui se présente comme une donnée brute. En fait, ce n'est peut-être qu'une manière d'exorciser certains fantasmes, note l'auteur en exergue... Ceux de la pérennité du nazisme, sous d'autres formes, mais avec les mêmes moyens ? Ceux que suscitent la crainte d'une guerre nucléaire ? Car ici elle a bel et bien lieu, même si elle commence le 12 avril 89 et se déroule entre Allemands et Japonais, avec pour résultat la mort des deux-tiers de la population mondiale.
     Mazarin a construit son roman sur les trois seules journées qui précèdent le cataclysme, avec un patchwork d'événements et de personnages, qui vont du chancelier du Reich lui-même (second successeur d'Hitler) à des combattants clandestins juifs de l'Irgoun reconstitué — le tout étant présenté pas des notes de bas de page comme le fruit de recherches historiques de la part des survivants. La documentation de Mazarin est rigoureuse et donne à son récit un bon cachet d'authenticité. Mais on le sait passionné d'Histoire, comme le prouvent ses histoires noires, Collabo-song ou même Une arnaque coloniale.
     Bref, voilà un très bon ouvrage, le meilleur Fleuve du mois (de janvier), et certainement le meilleur Mazarin. C'est en outre un excellent exercice de politique-fiction ; mais on sait que, depuis Les prophètes de l'apocalypse en particulier, Mazarin est un fervent du genre. Mais qui déclarait, répondant à une question d'Yves Frémion (dans l'ouvrage « Le Rayon SF ») : « Je ne suis fermé qu'à un seul genre : la politique-fiction » ? Patrick Siry. On vous fout à la porte, on rentre par la fenêtre.


Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/3/1984 dans Fiction 349
Mise en ligne le : 1/11/2005


     Une fois L'histoire détournée ouvert, passées les pages de garde, passé l'« Avertissement de l'Auteur », on découvre une nouvelle page de titre, bien différente ; il s'agit de celle d'un ouvrage à caractère historique, qui se présente ainsi :

     John Stuart Grinsby
     L'AIGLE ET LE SOLEIL
     Les prémices de la Troisième Guerre Mondiale
     (10-12 avril 1989)

     L'ouvrage est paru Editions Free London, en 1996.
     Il débute par un bref rappel historique : en 1945, alors que le Grand Reich chancelait, le miracle s'était produit ; le 4 avril, les fusées V-6 porteuses de bombes atomiques avaient rayé de la carte les grandes cités alliées. Hitler, mort le 25 mars — peut-être empoisonné ? — dans son bunker, n'avait pas assisté à cette victoire. Sa mort avait même été tenue secrète par ses fidèles.
     Puis l'on passe au corps de l'ouvrage proprement dit, qui relate d'une manière romancée, mais complexe, fragmentée, les « trois jours qui précédèrent la Troisième Guerre mondiale » entre, tout d'abord, les deux super-puissances qui se partagent la planète : le Reich allemand et l'empire japonais ; et les pays sous la botte des totalitaires choisissent ce moment pour entamer leur lutte de reconquête...
     L'auteur nous conduit à Berlin, autour de la Chancellerie qui refuse de croire à l'imminence de l'attaque japonaise ; à Nancy, capitale du protectorat de Bourgogne, dont le dirigeant, dernier chef historique du parti nazi, Himmler, croit au contraire à la guerre, et la recherche ; parmi le milieu résistant, à Paris, à Londres, aux USA ; à bord d'un des porte-avions japonais qui s'apprête à lancer une attaque-surprise contre la côte Pacifique des USA qui sont sous la surveillance et contrôle allemands ; dans l'île Saint-Hélène, devenue la Nouvelle Israël, où sont parqués cent mille juifs maintenu en vie pour entretenir le racisme soutien du régime ; à la suite d'un commando d'évadés de la Nouvelle Israël qui détourne un avion transportant d'importantes personnalités nazies vers un Moyen-Orient en pleine déliquescence...
     Mêlant une narration en parallèle qui présente la multiplicité des événements selon divers points de vue à des passages présentés comme des documents — bandes magnétiques, imprimés d'ordinateurs — authentiques retrouvés après la guerre, Jean Mazarin a réalisé un ouvrage à tous égards remarquable. La précision apportée à la construction de ce monde dans ses moindres détails géopolitiques ou quotidiens, la qualité du style, la véracité des dialogues et de la psychologie ajoutent encore à l'euphorie que l'on éprouve à la lecture de ce quasi-chef d'œuvre.
     Tout comme Collabo-Song (Fleuve Noir « Spécial Police ») — qui se déroulait d'ailleurs dans une ambiance voisine — avait marqué une étonnante mutation, celle du papillon par rapport à la chrysalide, L'histoire détournée surprend et s'impose, témoignant chez son auteur d'une maîtrise, d'un souffle, d'un sens du suspense nouveaux. Voici très certainement une des meilleurs « Anticipation » jamais publiés, à ranger aux côtés des meilleurs Jeury, Houssin, Walther, Wul, Steiner, Thomas. Suragne et autres D'Argyre.
     De même, il soutient avantageusement la comparaison avec deux livres considérés à juste titre comme remarquables : Le maître du haut-château, de Dick, et Rêve de fer (le seigneur de la Svatiska) de Spinrad. Je ne sais si Mazarin les a lus mais il les égale, au moins !
     En inventant le thriller uchronique (quoique la série des « Colmateurs » de Michel Jeury relève aussi d'une telle catégorie, qu'il ne faut pas trop prendre au sérieux !), Mazarin a écrit un livre jubilatoire, dont la lecture est dispensatrice d'un plaisir sans mélange. Un livre frais. Je ne serais pas déçu s'il retenait l'attention des donneurs de prix (à défaut de celle des donneurs de leçon).
     A ne manquer sous aucun prétexte.

Pierre-Paul DURASTANTI (lui écrire)
Première parution : 1/3/1984 dans Fiction 349
Mise en ligne le : 1/11/2005

retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87293 livres, 112209 photos de couvertures, 83729 quatrièmes.
10815 critiques, 47164 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3915 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD