ALBIN MICHEL
(Paris, France) Dépôt légal : 1978 Première édition Roman, 250 pages, catégorie / prix : 39 F ISBN : 2-226-00625-7 ❌ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Cela se passe en 1986.
Face à la mer vit un homme qui s'est retiré dans une modeste maison avec la femme qu'il aime. Tous deyx ne pensent qu'à l'amour, la voile, à survivre.
Sort enviable ? Simple mirage au bord même du cauchemar : les océans ne sont plus qu'un seul égout, la terre et les airs un seul magma de pollution meurtrière.
Depuis les années 80, une impitoyable censure occulte la terrifiante réalité et le pouvoir, dont personne ne connaît plus la couleur exacte, n'a qu'un seul souci : demeurer dans l'ombre et en équilibre au bord du gouffre inéluctable.
L'épouvante quotidienne filtre malgré tout, à travers tout : la pollulose tue sans faire de détail, l'espérance de vie est tombée à 45 ans, mais l'industrie gargouille toujours ses poissons alors que le commerce, rongé par une crise de plus en plus pernicieuse, croule dans le délabrement.
Une canicule de printemps va jouer le rôle d'un détonateur. Et, en mai 86, avec la force d'une gigantesque lame de fond, les hommes passent à l'action, en marge de toute idée de parti, sans discours, simplement poussés par la lucidité et la peur de crever. Non plus dans vingt ou trente ans, mais dans la semaine à venir.
Jacques Sternberg aime bien la spéculation qui donne à rêver. En 56, il parlait déjà de pollution et, en 65, de révolution sexuelle. En 78, il imagine un monde où le seul pouvoir sera celui de la grande trouille et de la volonté de survivre.
Ce mai 86, vécu par un couple de refuseurs professionnels que l'écroulement de tout un monde fait sourire, n'est pas seulement un chant d'amour de la vie, de la mer, et de l'individu. C'est aussi un violent cru de haine contre la politique, les gouvernements, le fric et la promotion. Un nouveau genre en somme : un livre d'apolitique-fiction.
Critiques
Dans le Monde du 27 avril, un sociologue de notre société, qui s'intéresse à la société bloquée etc. avance une des rares idées originales que j'aie entendues depuis longtemps sur mai 68. « Je crois qu'il y avait beaucoup de choses passionnantes, de germes en train de se développer, qui ont été étouffés par mai 68. » C'est ça, la sociologie. Sternberg, j'en suis sûr, appréciera. Mais, dans MAI 86, il continue d'écrire comme si mai 68 avait marqué le début d'une libération et non une régression. Avant tout, MAI 86, ça n'a rien à voir avec 1984, écrit comme on le sait en 1948 (où vont-ils chercher tout ça, ces auteurs !) Ce n'est pas du tout — une dystopie, une contre-utopie totalitaire. C'est une embellie. Qui se trouve n'être qu'un déjeuner de soleil, hélas. Pourtant nous assistons à la conquête de la mer et du ciel. Des programmes spatiaux ? pas du tout ! la conquête de notre ciel-débarrassé des nuages fuligineux et puants que les usines et les machines de toute sorte — y compris la sacro sainte voiture automobile — si possible individuelle — fabriquent pour le bien être de nos jolis petits poumons qui furent roses et qui ressemblent à des conduites d'égout. Et de la mer, sur les voiliers oiseaux. Amour du bateau qui transparait à chaque page, odeur de liberté et de sueur mêlées, le corps comme une offrande au soleil au vent, ivre comme celui des rares animaux qui nous restent et qui ont encore le courage de danser leur vie. Attention ! la mer, le soleil c'est l'apparence, ici : ne pas se tremper dans l'Océan. On risque de s'y dissoudre, comme dans de l'acide sulfurique. En 86, on a fait des progrès : plus de Marée noire, de boues rouges, de déchets mercuriels comme à Minamata ou au Brésil. Grâce à la remise en ordre, on est revenu sur les rails d'avant 68, et les germes dont parle le sociologue dans le Monde se sont développés. Nous sommes à l'ère de la pollution généralisée. Et des maladies qu'on baptise de très jolis noms comme la « pollulose », faute de pouvoir la guérir. La mer, le ciel, la terre et surtout les esprits en sont atteints. Encore un livre catastrophiste ? Pas du tout. Par une révolution silencieuse et efficace, menée sans chefs et sans mots d'ordre — ils sont évidents, alors pourquoi les dire ? — dans la lignée de Gébé dans son AN OI, on a tout arrêté et recommencé... autrement. Mais Sternberg n'est pas Gébé : son style est percutant ; la phrase au vitriol, le crachat lucide, à Cioran incorporé, fait mouche. Mais quel beau rêve, cette société démachinisée, désargentisée, débagnolisée, désinformisée qu'il nous offre : belles courses sur la mer que les poissons revenus taquiner nos yeux de leurs évolutions lentes agrémentent de leur présence chaleureuse. Tout a hélas une fin : ici c'est les extra-terrestres, et ce qui résistait encore à la vie libre reprend du poil de la machine. Des voix officielles se remettent à officier sur les ondes, la pollution recommence. C'était un rêve ? Eh bien on y a cru. Il faut dire que le printemps rend réceptif à ce type de leurre. Un bouquin salubre, acide — avec une profonde tendresse qui étonne parfois chez celui que Klein nommait un jour « un robot écœuré ». Est-ce pour autant, comme le donne à lire la jaquette, un livre d'« apolitique-fiction » ? En tout cas ce n'est certes pas le grand cri soulagé d'une majorité silencieuse qui s'exprime dans ces phrases ces images, ce tonus et ces rêves fous.